Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

Photo 1 : Les TG1 et THLP avec Mme Sophie Kleinmann-Quirin, entourée à droite par Mme Marie-Laure Jundt et M. Roland Sinteff (SMLH), à gauche, par Mme Claire Le Van (UNESCO).


Lundi 23 janvier 2023, Mme Sophie Kleinmann-Quirin, enseignante en religion et fille du Résistant René Kleinmann ayant participé activement au réseau « La main noire », fondé par Marcel Weinum en septembre 1940, a accepté de venir parler de ces deux grandes figures de Résistance alsacienne aux TG1 et THLP, sur l’invitation de Mme Claire Le Van, enseignante de philosophie et référente UNESCO du lycée. C’est grâce à M. Cyrille Schott, préfet de région (re) et président de la Société des membres de la Légion d’honneur (SMLH) du Bas-Rhin, que la professeure a pu prendre contact avec la conférencière. En effet, le projet « Persécutions et Résistances », qui inclut plusieurs étapes, est porté par la référente UNESCO, aidée de ses collègues Mme Laura Cousandier (physique-chimie), Mme Jana Wegner (allemand) et M. Thibaud Kueny (philosophie), en collaboration étroite avec la SMLH du Bas-Rhin et son comité d’Alsace du Nord, les Archives départementales et le Ministère des Armées (culture et mémoire).  Voilà pourquoi Marie-Laure Jundt, présidente de la SMLH comité Alsace du Nord, Roland Sinteff, officier supérieur (re) et membre actif de la SMLH, étaient présents lors de cette conférence poignante relatant le parcours héroïque de ces deux jeunes Résistants. M. Jean-Charles Fischer, nous a fait l’amitié de sa présence et a réalisé les photos de cet article. 

Photo 2 : La conférencière est présentée par l’enseignante.


Le brillant exposé de Mme Kleinmann-Quirin s’est effectué en salle 117, où l’exposition UNESCO « Guerre et paix » (2018) est affichée sur les murs, ce qui était un cadre adapté pour évoquer l’Annexion de fait de l’Alsace lors de la Seconde Guerre mondiale et les actes de Résistance que les membres du réseau « La main noire » ont effectué pour s’opposer à la germanisation forcée, à l’idéologie nazie, dans l’espoir de retrouver un jour la paix. Ils ont choisi ce nom pour « symboliser la main vengeresse qui s'oppose aux affronts nazis faits à l'Alsace ».


Photo 3 : Les affiches de l’exposition « Guerre et paix » étaient adaptés à la thématique de la conférence portant sur la Résistance à la Barbarie, deux aspects du combat humaniste.


Mme Kleinmann-Quirin a ouvert sa conférence en présentant le symbole de « La main noire » et en insistant sur la jeunesse de ces deux Résistants : Marcel Weinum et René Kleinmann. Le courage et la grandeur d’âme ne dépendent pas de l’âge ! 


Photo 4 : Première diapositive du Power Point de la conférencière.


Photo 5 : Marcel Weinum (né le 05 février 1924 à Brumath). 


La conférencière a tout d’abord évoqué l’enfance heureuse de ces deux protagonistes, provenant de milieux modestes et marquée par une spiritualité catholique authentique. 


Photo 6 : L’enfance de Marcel Weinum et René Kleinmann se déroule dans des familles aimantes, modestes, avec une imprégnation de la religion catholique.


L’oratrice a ensuite expliqué comment est né le sentiment de révolte de ces deux adolescents. Elle a précisé que la germanisation forcée de l’Alsace a constitué pour eux un véritable « choc » auquel il ne pouvait que réagir par la révolte, car la propagande nazie, antisémite et violente, entrait en totale contradiction avec leurs valeurs citoyennes, patriotiques, et leurs valeurs spirituelles, catholiques. « Ils n’ont pas réfléchi longtemps pour se positionner comme opposants à la ‘culture’ hégémonique du IIIème Reich », dit-elle. Ils voulaient lutter contre la nazification de l’Alsace. Marcel Weinum contacte des amis de Brumath, sa ville natale, et de la Maîtrise de la cathédrale de Strasbourg où il a été enfant de chœur. Au total, il va parvenir à rallier presque une trentaine d’adolescents. C’est un pari risqué, car nous sommes en septembre 1940, dans la foulée de l’Armistice, et la Résistance n’est pas encore ce vaste mouvement tel qu’on le connaîtra plus tard au cours de la guerre. Ce qui caractérise ce mouvement, c’est la précocité de sa formation, mais aussi l’audace avec laquelle il a lutté, car à Strasbourg, ce n’est plus la France, mais bien le Reich, depuis l’Annexion.


Photo 7 : Ces adolescents ont été choqués par l’omniprésence de la propagande nazie.


Marcel Weinum a été le fondateur du mouvement, et il a pensé à une double stratégie : à la fois concernant les objectifs et les moyens qu’il voulait mettre en œuvre pour lutter contre l’envahisseurs nazi, mais aussi concernant la façon de structurer un groupe en recourant à des sous-unités qui ne se connaissent pas entre elles, afin de préserver les identités et de protéger ainsi les différents membres. La conférencière indique que « Marcel Weinum a été inspiré par ses années de scoutisme et qu’il a calqué l’organisation du réseau sur ce modèle ». Elle a également parlé d’une « certaine naïveté, au vu de leur âge, notamment en ce qui concerne la mission confiée à une jeune recrue, Ceslav Sieradeski, qui consistait à aller en Suisse pour se rendre à l’Ambassade britannique afin d’obtenir un soutien ». Tous les membres du réseau ont entre 14 et 16 ans. La plupart sont enfants de chœur, fils d’ouvriers et eux-mêmes apprentis (boulanger, mécanicien, droguiste, etc.). La plupart vont s’engager à l’insu de leurs parents. En effet, aucun adulte n’est là pour les aider à se structurer. Aucun intellectuel ne vient théoriser leur lutte. Et pourtant, ce réseau va devenir un modèle de lutte clandestine : organisation structurée, petits groupes indépendants qui ne se connaissent pas forcément, pseudonymes, codes secrets, etc.


Photo 8 : Une organisation en groupes cloisonnés.


La Main Noire doit venger l’Alsace et donc entame la lutte dès octobre 1940. Elle est d’abord symbolique. Des graffitis de croix de Lorraine fleurissent sur les murs. Puis, à partir de novembre, le groupe passe à l’action via des sabotages (d’installations de chemin de fer, de postes de transmission, ainsi que des pillages des automobiles allemandes, des arrachages d’affiches et d’insignes, etc.). Ses membres récupèrent aussi des armes (dans des forts abandonnés) et font ainsi monter la pression. En décembre, ils commencent à jeter des grenades contre des vitrines qui exposent le visage d’Hitler en ville. Au début de l’année 1941, Marcel Weinum loue un appartement à Strasbourg, ce qui permet au groupe de composer clandestinement des tracts à la gloire de De Gaulle ou de Churchill qu’ils affichent ou distribuent sous le manteau. Enfin, le 8 mai 1941, la Main Noire réalise son plus gros coup d’éclat. Marcel Weinum et un des compagnons lancent deux grenades dans la voiture en stationnement du Gauleiter Robert Wagner, le plus haut dignitaire nazi d’Alsace. Pas de meurtres donc, mais des actions symboliques fortes pour marquer l’opinion publique.


Photo 9 : Diapositive résumant les activités de Résistances mises en œuvre.


Une dizaine de jours plus tard, le 19 mai, Weinum et un autre de ses compagnons, Sieradzki, sont arrêtés par une patrouille alors qu’ils tentaient de passer la frontière suisse pour faire passer des messages à un agent de l’Intelligence Service au consulat britannique de Bâle. Ils sont alors incarcérés à la prison de Mulhouse, où ils résistent aux interrogatoires. Malheureusement Sieradzki se confie à un jeune détenu alsacien qui travaillait en fait pour les nazis et c’est ainsi que furent arrêtés et emprisonnés les autres membres du réseau. Une dizaine d’entre eux sera incarcérée à Schirmeck, dont André et René Kleinmann, qui subiront la tonte des nouveaux arrivés, puis les brimades et violences de ce camp de sureté. René Kleinmann a séjourné longtemps dans ce camp : d’août 1941 à octobre 1943, soit plus de 2 ans. La conférencière lit ensuite un texte où son père parle de ces mois d’enfermement :
« D’anciens prisonniers, qui partagèrent comme moi la vie du camp de Schirmeck-La Broque durant des mois, ou même durant des années, offrent à l’Histoire des anecdotes vécues par eux et inédites à ce jour. Leur lecture réveillera chez les survivants les peurs qui nouèrent gorge et estomac à la vue de la fumée s’élevant du Struthof. Ils se souviendront des prières silencieuses et confiantes adressées à la Vierge de Schirmeck, statue visible depuis l’allée principale du camp, à hauteur de la place des exercices physiques. Ils se verront courir et se cacher dans leur baraque, ou actif au travail de ratissage des allées du camp à l’ouïe du moteur de la Citroën traction-avant noire du Commandant Buck. Ils ressentiront la faim à la vision des « Essenholer » (chercheurs du ravitaillement), et penseront encore à la tranche de cent grammes de pain noir avec une rondelle de saucisse noire. Ils auront peur aussi en se remémorant les visages, les paroles, les cris, les coups des policiers : Muth – Weber – Lipps – Muller – Wunsch – Hoerd – Baer … et autres. Ils se souviendront du ravage des puces, punaises, cafards. Ils gouteront l’espoir et surmonteront le désespoir de devoir rester trois mois supplémentaires au camp après interrogatoire de la Kommandatur… ». René Kleinmann. 
En août 1941 : les membres de la Main Noire furent ramenés à Strasbourg. S’en suivirent des interrogatoires violents (menés par la Gestapo) pour plusieurs d’entre eux. Lors d’un interrogatoire, Marcel Weinum est même parvenu à s’enfuir du bureau du Service de sécurité mais il fut repris. 


Photo 10 : Les élèves écoutent la conférencière leur relater l’arrestation, puis la condamnation de Marcel Weinum à la peine de mort par décapitation.


Et ainsi, le 27 mars commença à huis clos le procès de la Main Noire au Tribunal spécial de Strasbourg. Un rapport médical a reconnu les brillantes facultés intellectuelles de Marcel Weinum et donc sa majorité morale et la pleine responsabilité de ses actes. Au tribunal, le jeune homme impressionne par son calme et la force de ses convictions, sa foi en Dieu et en la France. Le 31 mars, Marcel Weinum fut condamné à mort. Le 14 avril 1942, à 6h15, dans la prison de Stuttgart en Allemagne, le jeune Alsacien de 18 ans est décapité par les nazis. Sa faute : avoir défendu l’honneur de sa patrie. Son corps repose au cimetière du Polygone à Strasbourg.

 


Photos 11 à 18 : Les lettres de Marcel Weinum à sa famille pendant sa détention, puis à la veille de sa mort : un héroïsme porté par une foi ardente. Les lettres sont tirées du livre « Marcel Weinum et la Main Noire », écrit sous la direction de Gérard Pfister aux édition Arfuyen. Mme Kleinmann-Quirin ne les classe pas dans le même ordre que l'auteur du livre. C'est pourquoi les pages 46 et 47 sont avant les 44 et 45.


Mme Kleinmann-Quirin a ensuite relaté le parcours héroïque de son père : René Kleinmann. En septembre 1943, il participe à une opération très risquée de déminage à Neudorf, ce qui lui permet d’être libéré de Schirmeck. Mais à peine libéré, il est incorporé de force et part pour le front russe dès le 1er novembre 1943. Il connaît ainsi le drame des Malgré-Nous, qui vivent une véritable torture morale. Son prénom est germanisé : « Renatus ». 


Photo 19 : Incorporation de force pour René Kleinmann : le sort tragique des Malgré-Nous.


Le 4 janvier 1944, il est envoyé à la frontière germano-polonaise, et dès le 6 février, il est mis aux arrêts pour sabotage du moral des troupes. Il ne cesse de répéter : « Je suis et je resterai Français ! ». Son frère Charles essaye de le protéger en le déclarant « un peu fou », et le psychiatre abondera : « oui, idéaliste ! ». Il est condamné à un an de prison. Il ne fera que 6 semaines à l’eau et au pain sec (300g). Tous les 3 jours il reçoit un litre de soupe à la place de l’eau. Fin août, il est incorporé de force pour le front Ouest (régiment de Tiborlager). Sur le front des Ardennes, il est fait prisonnier par les Américains à Aachen (Aix-la-Chapelle) en Allemagne. René Kleinmann vivra le soulagement, la joie et la fierté, de finir la guerre sous l’uniforme français. In fine, toute la famille a pu à nouveau se réunir, tous sains et saufs.


Photo 20 : René Kleinmann finit la guerre dans l’armée française.


Photo 21 : Le mot de conclusion formulé par le père de la conférencière, René Kleinmann, insiste sur l’importance de transmettre aux jeunes une boussole de valeurs leur permettant de discerner le bien du mal. 

Merci à Mme Sophie Kleinmann-Quirin de s’être généreusement rendue disponible pour présenter cette conférence si lumineuse, qui offre aux élèves des modèles de courage et d’humanisme.
Merci à Mme Marie-Laure Jundt, M. Roland Sinteff et M. Jean-Charles Fischer pour leur présence amicale et bienveillante.
Merci à la direction du lycée d’avoir rendu cette rencontre possible.
Merci aux élèves pour leur écoute attentive et leur implication remarquable dans le projet UNESCO « Persécutions et Résistances ».
          
*Pour retrouver l'histoire détaillée de Marcel Weinum, cf. l’article de Mme Sophie Kleinmann-Quirin, paru dans la revue de la société d'Histoire et d'Archéologie de Brumath et Environ (N° 50 décembre 2022).

*Pour terminer sur une note poétique, lien vers le magnifique poème de Louis Aragon « La rose et le réséda » évoquant les différentes résistances, celles des communistes et celles des catholiques, « celui qui croyait au ciel, celui qui n'y croyait pas », qui menèrent, au-delà de leurs divergences de conviction, un combat commun.

Claire Le Van