Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

 

 

 

 
Jeudi 23 janvier 2020, 16h30, près de 500 jeunes spectateurs et spectatrices applaudissent à tout rompre. La compagnie OC&CO salue, s’en va en coulisses, revient à l’avant-scène, et les applaudissements redoublent de vigueur et d’enthousiasme. Quel succès ! Quelle émotion, surtout !
La pièce nous a bouleversés...
Quatre classes du lycée du Haut-Barr, mêlées avec des camarades d’autres établissements savernois, ont assisté, médusées, à un spectacle d’une profondeur insoupçonnée. C’est l’histoire d’une famille, comme il y en a tant, avec ses secrets, ses joies, ses pleurs, ainsi que nous l’annonçait Coline Chapelet, l’actrice incarnant la jeune Sonia, en guise de prologue. L’histoire de toutes les familles, peut-être, mais surtout l’histoire de nos relations, de nos amours blessées, passionnées, ou blasées. L’histoire des sacrifices, des renoncements, et des désillusions. L’histoire du temps qui passe, des élans de vie, de désir ; l’histoire des regrets et du vide à venir.
« Ça finit par devenir comique ! » s’exclame Vania excédé, et pour cause : on oscille sans cesse entre les rires et les larmes. La pièce de Tchékhov dépasse infiniment l’anecdote. En jouant le fait divers et les discussions enivrées, les comédien·nes nous emmènent ailleurs, en nous-mêmes, et cela résonne très fort. L’émotion émane simultanément du texte, et d’un jeu théâtral subtil, finement mené par le metteur en scène, Olivier Chapelet. Peu à peu, l’on voit les personnages s’enfermer dans un huis clos de plus en plus serré, de plus en plus clos, au bord de l’étouffement. Les changements à vue, chorégraphiés, soulèvent des pans du plancher, qui deviennent autant de cloisons, toujours plus proches et hautes. Quatre murs s’élèvent ainsi progressivement : un par acte. Les issues disparaissent. Enfin se faufilent les deux « fauteurs de troubles » : le professeur Sérébriakov, vieil hypocondriaque tyrannique, et sa trop belle épouse, la jeune Elena. Sonia, la nièce de Vania, regarde tristement s’éloigner à son tour le docteur Astrov, incarnation fictive de Tchékhov. La nounou peut respirer, à l’idée de retrouver un rythme d’existence plus régulier, apaisé. Et lorsque l’oncle Vania s’effondre en sanglots, sa nièce nous livre, tel un cadeau vibrant de simplicité, l’une des tirades les plus émouvantes, les plus vraies du théâtre : « Il faut vivre !... Nous allons travailler dur pour les autres, et maintenant jusqu’à ce que nous soyons vieux, sans nous reposer… et quand notre heure arrivera nous mourrons humblement… Et là-bas, par-delà la tombe … Nous nous reposerons. Nous nous reposerons. Nous nous reposerons. »
Cette pièce dit la mort et la vie, le travail humble, harassant, la servitude volontaire qui nous permet de tenir, de vivre malgré tout.
Elle dit aussi la destruction de notre planète, cet anéantissement perpétré sans le moindre souci des générations suivantes. Dans cette pièce du XIXème siècle, Astrov, un médecin végétarien plante des arbres pour contribuer au bonheur des hommes qui vivront dans mille ans. Il déplore la destruction des forêts, « dégénérescence causée par l’inertie, l’ignorance ».
Cet écologisme avant l’heure a frappé les élèves, parmi lesquels Guillaume Toupense, qui profite du « bord de plateau » organisé après la représentation, pour en discuter avec le metteur en scène. Oui, Tchékhov était un visionnaire, et Yann Siptrott, dans la peau d’Astrov, porte avec conviction ses fervents réquisitoires contre une déforestation insensée.
La déliquescence est l’un des thèmes clefs de l’œuvre. Elle touche la nature, les paysages, et les êtres eux-mêmes. Vania est rompu par le travail de la terre, et plus encore par sa prise de conscience tardive : à 47 ans, il n’a jamais profité de la vie. Son existence fut entièrement vouée au domaine, et à son beau-frère, professeur à l’université. Lorsque ses illusions tombent, il ne lui reste que le regret, le chagrin, la violence contre lui-même, et contre l’idole tombée de son piédestal : cet universitaire n’était qu’une « bulle de savon ». Vanitas vanitatum, et omnia vanitas…
Quoique plus jeune, encore séduisant, Astrov n’est guère plus heureux. Il ne sait plus aimer, n’éprouve qu’une attirance étrange pour la beauté. Etrange, inquiétante même, car cette attraction est par deux fois reliée à la mort, à un souvenir obsédant : celui du cadavre d’un patient décédé sous anesthésie. Pourquoi la beauté d’Eléna, pourquoi le désir d’Astrov font-ils remonter à la surface de la conscience ces réminiscences mortifères ? La psychanalyse est toute proche ; elle interroge les relations mystérieuses entre les diverses pulsions inconscientes, eros et thanatos.
Ces liens ténus ne se font que subrepticement, au fil de la représentation, et plus encore, après le spectacle. Car la pièce résonne longtemps après les derniers applaudissements. Elle se révèle progressivement, dans toute sa complexité, quand la lame de fond de l’émotion a doucement reflué.
Plusieurs élèves profitent de l’aubaine qui leur est offerte, de pouvoir converser avec les artistes, à propos de la mise en scène.
« Pourquoi les comédiens restaient-ils en coulisses ? demande Arnaud Schaeffer, un élève de 1ère. 
- Cela vous a perturbé ? interroge Olivier Chapelet.  
- Oui : quand Sonia disait qu’elle allait voir son père, on la voyait simplement s’asseoir sur une chaise et regarder la suite de la représentation. Du coup, on n’y croyait plus. Si elle était partie, on aurait imaginé qu’elle allait réellement retrouver Sérébriakov. »
Une autre élève intervient : « Selon moi, ce dispositif permettait d’alléger la tension dramatique. »
Pour Olivier Chapelet, c’est une façon de montrer que tout le monde pourrait jouer du théâtre ; que c’est un art simple, populaire. S’adressant à un élève de 1èG3 : 
« -Comment t’appelles-tu ?
- Benjamin.  
- Tu pourrais t’appeler Paul, et on y croirait, même si nous savons que ce n’est pas vrai, on y croit. C’est ça, le théâtre.
- Mais comment faites-vous pour mémoriser tout cela ? demande Joachim Sedran, un élève de 2de4 qui peine à retenir les tirades d’Andromaque.
- Pour les hypermnésiques, c’est facile, répond Fabien Joubert (Vania) ; pour les hypomnésiques comme moi, il faut s’entraîner, répéter. C’est un entraînement quotidien, la mémoire. »
Riches et fructueux, les échanges se poursuivent, et se poursuivront encore par-delà le théâtre, au sein des établissements.
Car nous avons cette chance immense : la comédienne Coline Chapelet, qui nous a tant émus, reviendra nous voir au lycée, ainsi que son père, le metteur en scène Olivier Chapelet.
Deux classes du lycée du Haut-Barr, la 2de4 et la 1èG3, ont suivi depuis novembre 2019 les ateliers théâtre de Coline, tantôt dans l’établissement, tantôt au cloître des Récollets. La jeune actrice, accompagnée de la professeure de français Edwige Lanères, a proposé aux élèves enthousiastes divers exercices, d’abord pour s’échauffer, se mettre en voix, puis pour comprendre et ressentir les interactions avec un·e partenaire de scène. En première partie de séance, certains groupes ont fait l’exercice du samouraï, très efficace pour aiguiser ses réflexes ! D’autres ont joué aux prénoms lancés avec une intention. Et toujours le jeu s’emballe, s’accélère. Les plus lents sont éliminés ; ne restent que les plus prompts, les plus attentifs. 
Lorsque l’excitation du jeu monte un peu haut, Coline change d’activité ; du haut de ses 23 ans, elle maîtrise parfaitement les effets de groupe et sait capter l’attention des élèves.
En duos, les jeunes avancent en jouant une émotion, en direction d’un·e camarade. Arrivé·es au milieu de leur trajectoire, ils/ elles échangent leur posture, ce qui les oblige, tout en jouant, à observer l’autre. Le jeu du miroir les rend également attentifs au guidage, au rythme mutuel.
En dernière partie, les élèves, répartis en binômes, jouent des extraits de la pièce de Tchékhov. Sous le guidage expert de Coline, ils saisissent l’importance du regard, des gestes qui prennent sens, pour leurs camarades spectateurs.
Ainsi, lors de la représentation à l’Espace Rohan, on sent l’attention qui redouble, lorsque les jeunes retrouvent sur la scène, incarnés par d’autres corps, les passages qu’ils ont joués. C’est une expérience frappante ! Plusieurs d’entre eux se disent troublés, lors du bord de plateau. Ils n’imaginaient pas la scène ainsi, ils l’interprétaient d’une autre façon. Les élèves ressentent, dans leur corps, mieux que par n’importe quelle explication théorique, la diversité des niveaux de compréhension d’un texte.
Nous avons tous et toutes grand hâte de retrouver Olivier et sa fille pour le « debriefing » et les derniers ateliers théâtre.
Les élèves de 1ère ont déjà vu, et verront encore Françoise Lervy (la nounou) dans le cadre d’un autre projet : le concours Plume de paon des lycéen·nes, sur les audiolivres.
Mais auparavant, en classe, revenons sur tout ce qui nous a touchés, au cours de la représentation d’Oncle Vania. Ensuite, analysons, point par point, la mise en scène : la salle, le plateau, le dispositif scénographique, les praticables, le mobilier, les éclairages, les sons, les musiques, les costumes, les accessoires, les déplacements et le jeu des actrices et acteurs. Tout un programme !
Un immense merci à toute la troupe : Olivier Chapelet, metteur en scène ; Coline Chapelet (Sonia), Anne-Laure Hagenmuller (Elena), Fabien Joubert (Vania), Yann Siptrott (docteur Astrov), François Small (Serebriakov), Bruno Journée (Tiéléguine).
Merci à toutes les personnes qui travaillent à l’Espace Rohan, pour leur disponibilité, leur patience et leur envie de transmettre la culture théâtrale aux jeunes : Denis Woelffel (directeur), Perrine Monnet (médiation), Véronique Klein (accueil et billetterie), ainsi qu’à toute l’équipe technique : Bruno Langevin, Olivier Bohn et François Guillot.
Merci beaucoup à tout·es les collègues qui ont partagé cette belle aventure : Sabine Niess (lycée Leclerc), Véronique Louzada (collège Poincaré), Anne Simon (collège des Sources).
Et merci, bien sûr, à mes chèr·es collègues du lycée du Haut-Barr, qui ont accompagné les élèves lors de la représentation : Antoine Adam, Cécile Dernelle, Hubert Fessler, Isabelle Gourmelon, Claire Le Van, Mathilde Vautier, ainsi qu’à notre direction, toujours partante pour les projets culturels : Roland Buttner et Philippe Kinder.
Merci aux personnes « clefs » sans lesquelles rien ne serait possible : Morgane Montembault (gestionnaire) et Corinne Gross (secrétaire).
 
Edwige Lanères