Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

Le 16 octobre 2020, en fin de matinée, les élèves de Terminale HLP sont allés chercher leur 1er prix du PRINTEMPS DE L’ECRITURE : 
200 euros à dépenser en livres, à la librairie Klaeyle de Saverne.
 
 
« Tabéru ! » : « A table ! », en japonais. Tel est le titre de la pièce composée par les élèves de 1ère HLP (maintenant en Terminale), avec leur professeure de Littérature Edwige Lanères.
Ici, les jeunes sortent de la librairie, accompagnés de cette enseignante et de leur professeure de philosophie, Claire_Le_Van.
 
Petit récit en dix étapes d’une création collective.
 
1ère étape : « A table ! »
La professeure de Littérature – HLP présente aux élèves le thème du concours : « A table ! ». Que faire de cet appel ? Et de cette table ? Les règles du concours précisent que, pour les candidat·es qui choisissent l’écriture théâtrale, l’objet table doit apparaître concrètement.
Poussons les chaises, les tables scolaires, et ne gardons, au milieu de la salle de classe, que ce meuble. Puis jouons, tout en réfléchissant.
 
 
2ème étape : Quelle table ?
Table de jeu ? Table tournante ? Table ronde ? Table de chevet ? Tables de multiplication ? Table d’harmonie ? Passer à table, avouer ? Table de dissection, de vivisection ?
 
 
Ce méli-mélo de mots et d’images se mêle, dans l’esprit des élèves, aux questions abordées en cours d’Humanités Littérature Philosophie : pour appréhender les pouvoirs de la parole fictive sur le réel, nous avons étudié des extraits d’œuvres d’Alexandra Badéa, une dramaturge qui met un coup de projecteur sur les zones d’ombre du passé. Inspirons-nous de sa démarche !
 
3ème étape : Exhumer un crime historique ; le mettre sur la table.
Chaque élève effectue des recherches sur des faits historiques inavouables, douloureux ; des crimes contre l’humanité que d’aucuns auraient voulu passer sous silence. 
« - Shirō Ishii, annonce Quentin. 

    - Comment ? De qui, de quoi parles-tu ?

    - Shirō Ishii était un général de division japonais. Il a dirigé un camp d’expérimentation, à PingFang, en Chine du Nord.

    - Jamais entendu parler.

    - Et quel est le rapport avec la table ?

    - Les chercheurs, médecins, biologistes et vétérinaires employés au camp menaient des expériences sur les prisonniers.  Apparemment, ils ont pratiqué des vivisections sur des femmes enceintes.

    - Mais c’est horrible !

    - Autant que les événements rapportés dans les pièces de Badéa. »

Après discussion, les élèves décident d’exhumer ce crime, méconnu de leurs pairs.
 
 
4ème étape : On joue, on écrit.
Mézélie s’allonge sur une table, enceinte de son anorak. Quentin – Shiro Ischii- opère la jeune femme, aidé de ses assistant·es Maëva et Markus. 
 
 
Scène de vivisection : la « maruta » subit une césarienne, au camp de PingFang.
 
Finalement, ce sera la scène 2. Les autres élèves souhaitent commencer par un tableau moins sombre.
 
« A table ! » crie la maman, Agathe.
Bruits de couverts, chanson d’anniversaire… mais Marine se sent mal, elle pleure. 
On s’interrompt. Ce n’est pas elle qui sanglote ; c’est son personnage.
Comment nous appellerons-nous ? Et qui écrit la scène, avant que nous ne l’oubliions ?
 
5ème étape : On écrit, on rejoue.
Anaëlle, Alizée et Léonie s’entraident pour taper les répliques au fil du jeu, trouver des musiques adaptées, et proposer leurs idées. Tout va très vite !
Chaque comédien·ne se choisit un prénom, japonais, russe ou français selon son rôle, et la saynète prend corps, très rapidement. Seulement les incohérences surgissent : 
« - Tu ne peux pas avoir mon âge ; tu es ma petite-fille, dans l’histoire. 
   - Et toi, tu es le père de Sanaé, c’est cela ? »
 
 
6ème étape : Bâtir l’histoire des personnages, en amont de la pièce.
Nous comprenons que, pour que notre œuvre ait un sens, une cohérence, il faut inventer le passé de chaque personnage, et tisser toutes ces histoires ensemble. 
Finalement, les élèves bâtissent une pièce sur trois générations, comme le fait Badéa, et comme le font nombre d’écrivain·es, dramaturges ou romancièr·es d’aujourd’hui.
 
 
Keiko (alias Arnaud) est issu, par césarienne forcée, de Sakura, morte des suites de la vivisection, et d’un prisonnier de Pingfang. Ramené clandestinement en France par Yoko (Ninon), il épousera Gaëlle, avec qui il aura Sanaé (Sarah).
Une deuxième scène traumatique liée à une table, constitue le nœud de la pièce : Sanaé, petite, entend ses parents évoquer la vivisection de la « maruta », la « bûche de bois », selon l’appellation réservée aux femmes victimes de vivisection, dans ce camp. Cette scène est refoulée dans l’inconscient de la jeune fille ; on ne la joue pas… Pas avant que l’hypnotiseuse Pavlova soit parvenue à faire ressurgir ce souvenir enfoui dans la mémoire de Sanaé devenue adolescente.
 
7ème étape : Polir, mettre au point, enregistrer.
La trame s’est tissée au fil du jeu et des discussions entre les acteurs et actrices. Nous courons après le temps car il faut, en parallèle, continuer les cours d’HLP, mémoriser les notions, s’entraîner aux essais, aux questions d’interprétation…
Heureusement, Manon maîtrise à merveille le logiciel Audacity. La professeure installe le micro au-dessus des comédien·nes.  
Silence… Ça tourne ! Une prise. Deux prises.
Le résultat est médiocre. Ça ne va pas. Il faut cesser de jouer, pour l’enregistrement audio. Contentons-nous de légers bruitages.
    • Nous ajoutons des bruits glanés sur une base en ligne, ou nous les faisons nous-mêmes ?
    • Nous-mêmes !
    • Alors j’apporte des couverts, de la vaisselle.
Manon incruste sur la piste les extraits musicaux choisis par l’équipe des scriptes.
 
 
Les élèves lisent leur pièce de façon expressive, tout en insérant de légers bruitages.
 
 
8ème étape : Rencontre d’Alexandra Badéa, écrivaine.
Nous avons lu Points de non retour : Thiaroye, et Quais de Seine, ainsi qu’un extrait de Pulvérisés. Nous avons hâte de discuter avec l’autrice qui touche au cœur de l’humain… et de l’inhumain : la mémoire collective et individuelle.
Elle arrive au lycée, accompagnée de l’inspectrice de lettres, Hélène Martinet. 
 
 
Alexandra Badéa inspire le respect et l’admiration : d’origine roumaine, elle a choisi d’écrire en français car sa langue maternelle lui rappelait la propagande de Ceausescu. Metteuse en scène, romancière, dramaturge, elle se penche sur les douleurs des peuples, et analyse leurs effets sur les individus. Ainsi dans Thiaroye voit-on le fantôme du père, tirailleur sénégalais tué par des officiers blancs en décembre 1944. On entend la douleur du fils, qui se croyait abandonné, et qui s’est construit ainsi, sur ce prétendu abandon, simplement parce que la vérité avait été cachée. Comme tant d’autres artistes, Alexandra Badéa dit le réel à travers la fiction. Car le pouvoir de la parole artistique est aussi grand que le pouvoir des discours historiques, scientifiques. Et quand l’Histoire se cache, la fiction lève un coin du voile, pour obliger les détenteurs des archives à laisser les historiens faire leur travail de recherche et de publication.
Porté·es par cette belle rencontre, les apprenti·es dramaturges terminent leur création.
 
9ème étape : Envoi du colis au rectorat.
Tout est sous pli : la saynète, la clé USB avec l’enregistrement audio, et le dossier exposant les démarches. Un premier jury sélectionnera les œuvres dignes de passer au Grand jury.
 
 
10ème étape : Réception des résultats. 1er prix de l’écriture théâtrale collective.
Bravo les élèves !
Votre créativité, votre enthousiasme, vos réflexions et votre sens du travail en équipe ont porté leurs fruits ! Félicitations !
 
 
Vous avez gagné un bon de 200 euros, pour acheter des livres à la librairie Klaeyle de Saverne, quand vous serez en terminale.
 
 
Arnaud, Agathe, Kiara, Markus, Ninon et Alizée choisissent leurs livres.
 
Nous nous retrouvons le 1er septembre 2020, après le confinement et le congé estival. Un mois plus tard, nous entrons dans la librairie, choisir divers ouvrages : des œuvres, des pièces de théâtre, des bandes dessinées…
 
 
Les élèves ont gagné 18 € de livres chacun·e. Plusieurs lycéen·nes ont souhaité profiter de cette occasion pour acquérir, entre autres ouvrages, la pièce graphique sur laquelle porte notre nouveau projet ACMISA : Et y a rien de plus à dire, de Thierry Simon.
Mais ça, c’est une autre histoire !
 
Edwige Lanères