Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

 
Photo N° 1 : Dessin réalisé par Ninon Pierrel, THLP, à partir de l'affiche.
 
Le mardi 23 mars était une journée festive qui a mis la philosophie à l’honneur par le biais du théâtre. En effet, la pièce Le Gorgias de Platon a été jouée à deux reprises dans le petit réfectoire par la Compagnie des amis de Platon devant cinq classes du lycée, ce qui a rendu le texte platonicien très vivant, amusant et même jubilatoire. Par un heureux hasard, c’était aussi la journée des 100 jours avant le Bac où tous les élèves sont venus au lycée habillés de façon particulièrement élégante, ce qui tombait bien pour se rendre au théâtre ! 
 
Photo N° 2 : Discours d'accueil du Proviseur.
 
Lors de son discours d’accueil, le proviseur, M. Roland Buttner, a salué les cinq artistes de la Compagnie des Amis de Platon qui ont fait le voyage de Pézenas jusqu’à Saverne pour offrir aux élèves une version vivante du dialogue de Platon portant sur la rhétorique et la justice : Gérard Mascot (Socrate), Dominique Ferrier (Gorgias), Ruben Chehadi (Polos), Tom Torel (Calliclès) et Flore Padiglione (logistique). Il a également remercié l’inspecteur d’académie et de philosophie, M. Yann Martin, pour sa présence, ainsi que les collègues de philosophie : Mme Le Van, qui a organisé cet événement culturel avec le soutien de Mme Montembault, gestionnaire de l’établissement, et M. Saint-Eve qui a aidé à la mise en place du projet. Les élèves auraient dû se rendre en bus à Strasbourg pour bénéficier de cette mise en scène, mais les restrictions sanitaires ont fait que les salles de spectacle étaient fermées. La seule solution pour maintenir l’événement était de convier la troupe dans les murs de l’établissement. L’ambiance d’une demeure antique a pu être implantée dans l’espace habituellement dévolu à la restauration grâce aux décors. 
 
 
Photo N° 3 : Les quatre acteurs sur scène.
 
Les quatre acteurs, avec brio et éclat, ont interprété cette pièce, en alliant le rire au sérieux, la discussion détendue aux échanges de points de vue plus houleux. Le dialogue du Gorgias se compose de trois entretiens successifs qui se présentent sur le mode d’une joute oratoire dont les participants succombent l’un après l’autre à la rigueur implacable du questionnement socratique. Socrate dialogue tout d’abord avec Gorgias le rhéteur, chaleureux et bonhomme, mais moins soucieux de chercher la vérité que d'emporter l'adhésion de son auditoire. Socrate interpelle Gorgias pour qu'il définisse ce qu'est la rhétorique, ce dernier va donc tenter une définition : c'est « le pouvoir de convaincre dans n’importe quelle réunion le citoyen sur toutes les questions où il faut savoir ce qui est juste ou injuste » (452 a). Tout satisfait de lui-même, Gorgias soutient que la rhétorique confère un pouvoir qui permet de convaincre toutes les personne sur tous les sujets, si bien qu'un rhéteur sera plus à même de conduire un malade à prendre une potion curative que son propre médecin, pourtant expert. Socrate en déduit que la rhétorique permet à un ignorant de persuader d'autres ignorants, si bien que cet art de la belle parole n'est autre qu'une manipulation des esprits. Dès lors, le pouvoir des discours rhétoriques sert seulement à faire croire et non à faire savoir, autrement dit, il ne donne accès qu'à des opinions incertaines, nullement à des connaissances rationnellement fondées. « La rhétorique est productive de conviction, elle fait croire que le juste et l’injuste sont ceci et cela, mais elle ne les fait pas connaître » (455 a), conclut Socrate.
 
 
Photo N° 4 : Gorgias discute avec Socrate pour définir ce qu'est la rhétorique.
 
Puis, Socrate échange avec le jeune et fougueux Polos, prêt à tout pour défendre la rhétorique et son maître Gorgias, mais le jeune orateur est bien vite pris en défaut par les questions de Socrate. Le philosophe poursuit son réquisitoire contre la rhétorique dans l’entretien avec Polos en affirmant que la rhétorique n’est pas un art, mais un simple savoir-faire qui a pour but la flatterie, une simple contrefaçon de la politique. Derrière chaque art, en effet, se cachent des contrefaçons qui prennent le masque des arts pour lesquels elles veulent se faire passer : « Ainsi la cuisine s’est glissée sous la médecine dont elle a pris le masque ; elle fait comme si elle savait quels sont les aliments les meilleurs pour le corps » (464 d). Ces faux-semblants, ces contrefaçons visent l’agréable sans souci du meilleur. De même la rhétorique, prenant le masque de la politique, ne cherche pas à rendre les citoyens meilleurs, ce qui devait pourtant être le but de la politique ; elle cherche seulement à les flatter, elle est l’école de la démagogie. Polos glorifie le pouvoir sans limite que confère l'art oratoire et fait l'éloge du tyran, qui peut vivre comme il veut, commettre l'injustice sans être puni et profiter de tous les agréments de la vie. Le dialogue, par le biais de la question du pouvoir que confère la rhétorique, va désormais se recentrer sur la définition de la justice. Pour Socrate, le véritable pouvoir revient à servir le bien et la justice. Contrairement à ce que croit Polos, ce n’est pas le tyran qui a le plus de pouvoir, mais celui qui se maîtrise et recherche le bien. D’où une série de principes que Socrate va lui faire admettre : il n’y a pas de pouvoir sans justice ; le tyran n’est pas enviable mais digne de pitié ; il vaut mieux subir l’injustice que la commettre ; il vaut mieux être puni que de rester impuni.
 
 
Photo N° 5 : Polos dialogue avec Socrate.
 
Enfin, c’est avec Calliclès que le débat prend un ton plus incisif. Brillant, provocateur, il condamne la médiocrité et l’hypocrisie des moralistes, fait l’apologie de la force, développe une vision résolument élitiste de la société fondée sur la supériorité naturelle des meilleurs, exalte l’épanouissement sans entraves de toutes les formes de jouissance. Socrate le réfute point par point, traçant au contraire les contours d’une vie tout entière vouée à la tempérance et au respect du bien. Calliclès prétend que les lois de la nature sont meilleures que celles de la cité, si bien que les plus forts doivent exercer le pouvoir et profiter sans limite de tous les agréments de la vie. Socrate n'aura pas de mal à lui démontrer, par la force « des anneaux de fer et de diamant de la raison » qu'il a tort, car la nature ne fait pas loi, et le meilleur ne se détermine pas par la force, mais par la justice. De plus, s'adonner sans frein aux plaisirs est comparable au fait de vouloir remplir le tonneau percé des Danaïdes, vaine entreprise. Calliclès lui-même est obligé d’admettre, contraint par l’ironie de Socrate, au terme d’un long échange, qu’il y a une hiérarchie des plaisirs et donc que toute jouissance n’est pas bonne. Car, demande Socrate, si toute jouissance est un bien, si satisfaire un désir, quel qu’il soit, est synonyme de bonheur, est-on heureux quand on se gratte là où ça démange : « Passer tout son temps à se gratter est-ce là le bonheur de la vie ? » (496 c) ? Le distingué Calliclès voit bien à quelles extrémités de vulgarité il serait conduit s’il devait continuer à affirmer qu’il n’y a pas de distinction à faire entre les plaisirs. Ce que Socrate veut démontrer au contraire c’est qu’il faut distinguer entre ce qui plaît ou ce qui est agréable, et ce qui est bien ; que le bon n’est donc pas l’agréable. 
 
 
Photo N° 6 : Calliclès s'oppose à Socrate.
 
Deux modèles de vie s'affrontent : une vie de démesure et de violence vantée par Calliclès face à une vie d'ordre et de modération prônée par Socrate. Un tel homme, qui vit conformément à la justice, est nécessairement un homme heureux. C’est le portrait du sage que Socrate tente d’imposer depuis le début du dialogue, à l’inverse de l’homme sans mesure et sans règle dont Calliclès fait l’éloge et qui n’est pour Socrate qu’un scélérat, donc un malheureux. Justice et tempérance sont les conditions du bonheur. Calliclès est trop sûr de lui, trop imbu de sa supériorité, trop soucieux de son pouvoir, pour remettre quoi que ce soit en question. Quand il sent qu’il vacille, il se dérobe, laissant à Socrate le soin de jouer les deux rôles.
 
 
Photo N° 7 : Calliclès, acculé, refuse de poursuivre le dialogue.
 
Calliclès excédé, incapable de l’emporter, finit par déclarer forfait, et c’est alors dans une dernière étape Socrate qui continue seul et s’engage dans une magnifique plaidoirie pour ce qui est pour lui la seule vie qui vaille, une vie tout entière consacrée à la recherche du bien. Progressivement c’est ce thème de la vie juste qui devient le thème central du dialogue et cela devient évident dans la dernière partie où Socrate parle seul et a tout loisir pour expliquer son choix de vie. Loin des faux-semblants de la démagogie, son bonheur est tout entier fait de sagesse, de modération. Parce qu’il sait où est pour l’homme l’essentiel, il ne se laisse pas prendre au miroir aux alouettes du désir. Parce qu’il sait que le pouvoir sur les autres est une illusion de pouvoir, il s’attache à acquérir le pouvoir sur soi-même qui est le seul vrai pouvoir. S’il est maladroit dans les affaires publiques, il sait par contre rendre réellement service à ses concitoyens en les aidant à devenir meilleurs. Socrate termine par un mythe eschatologique, où il évoque le jugement des âmes après leur mort, la sanction des âmes injustes précipitées dans les Enfers et la récompense des âmes droites envoyée aux îles des Bienheureux. Devant le tribunal de la justice divine, aucune dissimulation, aucune rhétorique ne peuvent rien : l'âme est mise à nu. Faute de pouvoir éveiller le sens éthique de son interlocuteur par la seule raison, il tente de réveiller sa conscience endormie par un mythe, qui constitue un pari raisonnable. Ce mythe sert à illustrer l'idée selon laquelle la justice, dans ce monde comme dans l'autre, consiste à mener une existence consacrée à la recherche du bien. 
 
 
Photo N° 8 : Monologue final de Socrate.
 
Les élèves retiendront la leçon socratique : il faut se méfier de la flatterie des rhéteurs pour lui privilégier la quête de justice propre à la philosophie ! Un échange avec la salle s’en est suivi, où les élèves ont posé de nombreuses questions, en vue de leur future épreuve de philosophie au bac. Puis un temps de partage informel avec des photos de groupe a eu lieu.
 
 
Photo N° 9 : Les acteurs avec des élèves et les enseignants de philosophie.
 
Une fois la représentation achevée, une interview des acteurs s'est déroulée en deux groupes : les élèves de 1ère HLP ont posé des questions à Gérard Mascot, Dominique Ferrier et Ruben Chehadi, pendant que les élèves de TG3 et de TG2 ont interrogé Tom Torel.
 

*Interview de Clara Guenec et Antoine Herr, 1ère HLP, élèves de Claire Le Van :

 
 
Photo N° 10 : Interview des élèves de 1ère HLP.
 
    1. Pouvez-vous vous présenter brièvement ?
 
 
Photo N° 11 : Portrait de Gérard Mascot, qui incarne le personnage de Socrate.
 
« Je m’appelle Gérard Mascot, j'interprète Socrate, j’ai 54 ans et je suis comédien depuis 20 ans. En plus de ce métier déjà très prenant, je suis également metteur en scène et scénographe et je trouve le rôle de Socrate très intéressant. Avant de faire ce métier, j’ai été professeur de mathématiques. C'est ma professeure de philosophie, Marie-Ange Mathieu, qui m'a initié à l'interprétation théâtrale des dialogues de Platon. Et la Compagnie des Amis de Platon a mis en scène des dialogues de Platon depuis au moins 30 ans ».
 
 
Photo N° 12 : Portrait de Dominique Ferrier, qui interprète Gorgias.
 
« Je suis Dominique Ferrier, j'interprète Gorgias, j’ai commencé le théâtre étant très jeune, en même temps que je poursuivais mes études. Je pratiquais souvent mon activité théâtrale en novembre-décembre et j’allais en cours le reste de l’année. A la fin de mes études, je me suis laissé rattraper par le théâtre, je suis même devenu directeur de plusieurs théâtres, ce qui m’a permis de rencontrer plusieurs personnes aujourd’hui très célèbres comme par exemple Richard Berry, Coluche, Olivia Ruiz, ou encore Michel Drucker. Avec Frédéric Bourali (l’acteur jouant le rôle de « José » dans la série télévisée humoristique « scènes de ménage »), nous avons en effet monté la pièce de théâtre « Les Caprices de Marianne » ensemble. Pour moi, c’est cela le plaisir du directeur de théâtre : rencontrer des artistes de différents métiers. A titre plus personnel, j’ai également déjà joué le rôle d’un marin qui faisait visiter la baie de Sète aux touristes dans la série télévisée « Candice Renoir ».
 
 
Photo N° 13 : Portrait de Ruben Chehadi, qui joue Polos.
 
« Je m’appelle Ruben Chehadi, j'interprète Polos, j’ai 27ans et je suis comédien depuis 5 ans. Avant d’exercer ce métier, j’étais étudiant, j’ai donc une licence en biologie. Déjà, étant petit, j’avais adoré le théâtre et c’est ce qui fait que je ne me vois actuellement pas faire autre chose ».
 

Questions de Clara Guenec

Questions de Zoé Feldis

 
 
2. Est-il facile de choisir un dialogue de Platon comme support d'une pièce de théâtre ?
 
« Cela paraît difficile au premier abord. En effet, si je vous dis 'Platon', vous pensez à 'philosophie', et par conséquent à 'réflexion complexe, difficile à suivre'. Alors si un des textes de Platon est adapté en pièce de théâtre, vous aurez tendance à penser que les tirades seront impossibles à comprendre ! Or, c'est en fait l’exact opposé, les dialogues platoniciens se prêtent très bien à la mise en scène. Finalement, cette pièce enseigne de façon accessible et vivante la vision platonicienne du pouvoir, de la rhétorique, de la justice… », confie Ruben Chehadi. « Et elle fait même mieux, elle donne envie de s'intéresser aux autres dialogues de Platon, et donc de se lancer dans la philosophie. Cette pièce interprète avec fidélité le Gorgias, tout en soulignant le côté humoristique qui est présent dans le texte, mais qui est trop souvent négligé au profit de l'analyse conceptuelle », explique Gérard Mascot. « Cette pièce met en scène Socrate tentant de raisonner successivement le rhéteur Gorgias, son disciple Polos, puis l'impétueux Calliclès. Socrate leur ouvre les yeux sur le pouvoir de la parole et le bon usage qu'il convient d'en faire pour ne pas tomber dans la flatterie propre à la rhétorique », soutient Dominique Ferrier. 
 
3. Combien de temps vous faut-il pour monter une pièce comme celle-ci ?
 
« En général, nous commençons à imaginer les projets que nous allons jouer un an à l’avance, ce qui fait que nous préparons toujours plusieurs projets en même temps. Par exemple, nous sommes en ce moment-même en train de préparer d’autres pièces comme Le procès de Socrate, Cyrano de Bergerac, ou encore Le malade imaginaire pour les 400 ans de la naissance de Molière. Quant au travail de plateau (c’est-à-dire les répétitions), il nous prend environ un mois. De plus, nous ne faisons pas tout nous-mêmes, ce qui nous permet de monter nos pièces plus vite. Les décors sont notamment réalisés par Agnès Canuto et Guy Sahuc, un couple vivant dans le Sud de la France. Tous les décors de ce spectacle ont été créés pour le Gorgias. Il peut arriver que certains éléments soit réutilisés, mais cela reste assez exceptionnel, car Guy Sahuc tient à créer à chaque fois les éléments dont il a besoin », explique Gérard Mascot. 
 
 
 
4. Est-ce que les décors ont une fonction importante dans la compréhension de la pièce ?
 
« Oui, les décors sont des éléments essentiels, qui ont une triple fonction : 1. pragmatique, 2. scénique, 3. esthétique. Concernant l'aspect pragmatique, l'investissement qui a dû être fourni pour financer les décors, entre le matériel et le salaire des décorateurs, s'élève à 15 000 €, ce qui représente beaucoup compte tenu du fait que le monde du spectacle actuellement est difficilement rentable en raison de la réduction du nombre de représentations lié à la crise sanitaire. Il faut de plus que ces décors soient transportables et donc rentrent dans la fourgonnette avec laquelle nous nous déplaçons. Pour l'estrade, elle est amovible et peut s'adapter à toutes les configurations de salles. Le second aspect consiste à récréer un espace scénique qui reflète l'intérieur d'une villa grecque, avec l'idée que les déplacements des personnages, qui parcourent la pièce de sorte à mettre en relief leurs propos, rendent la mise en scène plus fluide et plus vivante », précise Dominique Ferrier. « Et concernant l'aspect esthétique, le décor a même évolué au fur et à mesure des répétitions, en effet, au départ nous pensions représenter un bouclier au centre de la pièce, et finalement il nous est apparu qu'une allégorie de la justice était plus adaptée au sens du propos platonicien », conclut-il.
 
5. À quel public destinez-vous ce spectacle ? Et combien de représentations en donnez-vous lors de votre tournée ?
 
« En temps normal nous donnons chacun environ 65 à 90 représentations ; cette année, comme beaucoup de lycées ont voulu nous soutenir en nous faisant jouer chez eux, nous avions prévu 120 représentations. Malheureusement, à cause de toutes les annulations, pour cause de cas de covid ou de cas-contact déclarés au sein de ces établissements, nous avons dû annuler de nombreuses représentations. Finalement nous ne jouerons que 60 fois Le Gorgias », regrette Ruben Chehadi. «  La force de notre compagnie, c'est qu’avant la crise sanitaire, nous avons joué nos représentations en partie dans des lycées équipés de salles adaptées, et en partie dans des salles de spectacle traditionnelles. La répartition entre ces deux types de lieux se faisait environ à hauteur de 50 % chacun », explique Gérard Mascot, « mais avec la crise du covid et la fermeture des théâtres, la compagnie ne peut aller que dans les lycées, le plus souvent ceux qui ont déjà invité la troupe auparavant pour voir d'autres dialogues de Platon ». « On s’adapte », nous confie Ruben Chehadi. « Mais on ne sait jamais si ça va être annulé au dernier moment, nous vivons avec cette incertitude ». Dominique Ferrier poursuit : « Je trouve cette situation très angoissante, car nous avons souvent préparé notre texte bien en avance, puis nous avons des annulations de dernière minute, ce qui fait que nous ne pouvons souvent pas jouer. De plus, nous avons aussi beaucoup de frais suite à toutes ces annulations de dernière minute. En effet, nous nous déplaçons tous grâce à la même fourgonnette et nous sommes souvent déjà en route pour aller vers un lycée lorsqu’on nous signale une annulation, ce qui nous rajoute des frais d’essence », déplore-t-il. « En effet à cause de la crise sanitaire, certains lycées ont dû fermer des classes ou ont simplement refusé que la troupe joue chez eux. Cette crise a diminuée de moitié nos représentations par rapports aux autres années », constate Gérard Mascot.
 
6. Comment fonctionnez-vous dans votre troupe pour vous répartir les rôles? N'est-ce pas difficile de jouer un rôle qui est moins valorisant que celui de Socrate ?
 
« Dans cette petite troupe, nous sommes tous polyvalents, chacun occupant différents postes suivant le spectacle. Nous cherchons des comédiens, des chorégraphes, des décorateurs, des accessoiristes, en fonction de la pièce que nous voulons monter », affirme Ruben Chehadi. « Si l’on revient sur l’aspect théâtral de la pièce ainsi que sur les personnages, nous sommes tous unanimes pour dire que Socrate a raison. Même si chacun des comédiens aime son personnage, parce qu’il a un caractère particulier et qu’il apprécie de le jouer, néanmoins cela ne veut pas dire pour autant que les idées de ce personnage sont recevables, sauf pour Socrate, dont les pensées sont animées par la recherche de la vérité ! », affirment les comédiens.
 
7. Est-ce que les enseignements du Gorgias sont toujours d'actualité ?
 
Pour Gérard Mascot, acteur jouant Socrate, malgré le fait que Le Gorgias ait été écrit il y a environ 2000 ans, les idées qu’il défend restent d’actualité : « Du point de vue de l'histoire de l'humanité, 2000 ans, ce n’est que 20 fois 100 ans, autrement dit : hier ! Pour moi, l'affirmation platonicienne selon laquelle la politique devrait amener une recherche éthique, pour obtenir une politique juste, une politique de philosophe, est encore un idéal qui vaut pour aujourd'hui ». 
 

Interview de Tom Torel, par Emilien Ottinger, TG3, Jules Nuss, TG2 et Thomas Valentin, TG2, élèves de Nicolas Saint-Eve :

 
 
Photo N° 14 : Interview de Tom Torel
 
Suite à la pièce de théâtre représentée au Lycée du Haut-Barr le 23 mars 2021, nous nous sommes entretenus avec l’un des acteurs, Tom Torel, qui incarnait avec brio le personnage de Calliclès. On peut dire, comme il le reconnaît lui-même, qu’il avait la tête de l’emploi. Des yeux enfoncés par une ligne de mascara, une mâchoire carrée et une coupe de cheveux de guerrier, non sans oublier une voix profonde et forte. Avec beaucoup d’autodérision, il confie qu’il a l’habitude de jouer des rôles de « méchants » : ainsi par exemple l’année dernière, le Comte de Guiche dans Cyrano de Bergerac (pièce d’Edmond Rostand mise en scène par l’illustre théâtre de Pézenas, port d’attache de la compagnie des amis de Platon, en 2020). Mais plus qu’un physique, cette interprétation témoigne de l’engagement de Tom, et d’ailleurs de tous les acteurs, dans ce gigantesque travail théâtral.
 
Tom nous parle de l’éthique de l’acteur, indissociable d’une vocation et d’une passion. Il s’agit pour lui de s’imprégner totalement du personnage, ce qui suppose bien sûr d’abord un rapport au texte, que tous les acteurs soulignent, dont Gérard Mascot, metteur en scène, et Dominique Ferrié, qui interprétait Gorgias. Tom souligne qu’il faut d’abord comprendre ce dont il est question, chose d’autant plus importante que nous avons ici affaire à des dialogues philosophiques. Ce n’est qu’à partir de ces éléments de compréhension que l’acteur peut saisir une intention et sait comment agir. C’est néanmoins chose difficile pour l’acteur, qui n’est pas seul face au texte, mais qui participe à un travail d’équipe.
 
Tom indique qu’il s’efforce de retenir le texte de la manière la moins affectée possible, afin de pouvoir respecter la volonté du metteur en scène. Engagement individuel dans le texte, donc, mais également engagement dans la vie d’une troupe de théâtre, forte de 25 acteurs, comédiens et chanteurs, lesquels ne participent évidemment pas à chaque spectacle. Pour le Gorgias, cinq d’entre eux étaient présents.
 
Tom semble donc être né pour être acteur, mais l’histoire de sa vocation a été plus sinueuse. Tom est un personnage aux multiples facettes, lui qui a été artisan et étudiant en faculté d’Anglais avant de suivre un cursus de journalisme, au cours duquel il rencontre opinément une troupe de théâtre qui lui transmet une passion et un chemin de vie dont il ne devra jamais revenir. Toute cette passion, de Tom comme des autres acteurs, concourt à la construction d’une pièce de théâtre poignante, à la fois par la force de son impact sur le spectateur, et par son actualité. 
 
Tom remarque que l’attractivité propre au théâtre, selon ses termes, permet de rendre vivant, et donc plus abordable pour les élèves, un dialogue philosophique. C’est pourtant une gageure, aux dires de Dominique, étonné par le génie propre et la dextérité de Gérard, qui a su rendre un dialogue philosophique aussi dramatique, haletant, et comique qu’une pièce de Molière. La modestie du metteur en scène le conduit néanmoins à en attribuer tout le mérite à Platon, chez qui tout se trouverait déjà. Bien sûr, le texte a été réécrit par ses soins pour les besoins de la scène, mais il s’efforce de conserver le sens et les enjeux du texte original, grâce au concours de professeurs de philosophie hellénistes. La dernière réécriture date de 2007, pour une représentation précédente de la pièce. 
 
Attractive malgré son antiquité, la pièce n’en est pas moins actuelle. Le dialogue traite de la rhétorique et de la justice, avec une portée critique toujours opérante dans notre monde contemporain. La pièce se déroule sous l’égide de Thémis, représentée sous les traits d’une femme mi-nue tenant une balance et un glaive, divinité symbolisant la justice, prenant place au centre d’un bouclier peint sur le fond de la scène. Tom commente le choix d’une telle représentation : Thémis a les seins nus car la justice met à nu, dépouille de tous les artifices trompeurs, et ne ment pas. Tout au contraire de politiques qui, eux, usent de ce savoir faire séducteur qu’est la rhétorique, en vue d’arriver à leurs fins, comme c’est le cas des personnages que critique le Gorgias. On le voit de façon très prégnante dans la crise sanitaire actuelle, qui montre bien qu’il manque aux hommes politiques férus d’efficacité le sens de la justice véritable, au sens de Platon.
L’actualité de la critique de la justice se joint également à l’actualité de la critique du personnage de Calliclès, dont le caractère colérique, parfaitement interprété par Tom, montre en réalité la détresse d’une vie de plaisirs, qui est aussi un idéal de l’esprit du temps capitaliste. Le Gorgias désamorce donc bien des préjugés, qui n’ont malheureusement pas pris une ride en 2500 ans. 
 
 
Photo N. 15 : Tom Torel, acteur qui joue Calliclès.
 
Questions de Feldis Zoé et Clara Guenec (1HLP), auxquelles Tom a répondu par écrit, après la rencontre du 23 mars :
 
Tom : je réponds aux questions de Zoé Feldis, puis à celles de Clara Guenec (que je remercie bien sincèrement non seulement pour ces vraies interrogations, mais aussi d’avoir bien voulu prendre le temps de nous les transmettre).
 
Zoé : 1) Comment faites-vous pour rentrer dans la peau de votre personnage ?
 
Cette question me fait rire. Tout le monde parle de rentrer dans la peau d'un personnage, alors qu’en réalité l’enjeu est autre : il faut s’ouvrir progressivement et le plus possible pour permettre au personnage de prendre possession de soi ! De rentrer dans votre peau ! A force de travailler le caractère de notre personnage, la situation comme les interactions avec les autres partenaires, il arrive à un moment donné que se produise une espèce de fusion. Plus je lâche prise et me mets au service du sens que je dois servir (puisque j’ai accepté d’être l’hôte d’un personnage le temps de la pièce), et plus mon personnage prend forme et force, sous mes traits sans que ce soit encore vraiment mes traits puisque je vais imprimer à mon visage, à mon corps, à ma gestuelle des comportements, des réactions qui en réalité ne m’appartiennent au départ pas. Le comédien est un genre de schizophrène dans un dédoublement consenti.
 
2) Quelles sont les contraintes et les plaisirs que vous rencontrez au cours de votre apprentissage pour votre rôle, ou tout simplement au théâtre ?
 
Pour moi, c’est une école. Je suis un instrument et j’aime me mettre au service d’un texte dont le sens me plait en me disant aussi qu’il peut toucher et apporter des choses à un auditoire. C’est une école très formatrice d’humilité. Il n’y a aucun orgueil à tirer d’être comédien et surtout pas parce qu’on est vu d’un grand nombre de gens à la fois. Vous parlez de contrainte ! La vraie contrainte que je rencontre - qui m’est profitable - est une exigence de me confronter à mes propres résistances à faire telle ou telle chose qui m’est demandée. M’ouvrir le plus possible. Ecouter, réfléchir et agir le mieux possible. Oui, faire le mieux possible, vibrer du sens, vibrer du partage émotionnel à venir avec le public. C’est la force de la Culture que je sers ainsi également, car la transmission de valeurs, d’idées et de réflexions aussi profondes et fondamentales que celles d’un Platon par exemple m’apparait d’une évidente nécessité.
 
3) Qu'est-ce-qui vous a poussé à vous tourner vers une carrière artistique ? Pour vous, c'était comme une évidence ou un pur hasard ?
 
Le théâtre est pour moi un espace de liberté où je tente d’aller vers une dimension plus haute, plus grande de moi-même, toujours pour apporter plus au public, et grandir en même temps en m’apportant à moi même des choses qui me font du bien. C’est la même chose quand je chante, puisque je suis également chanteur. La Nature a eu la gentillesse, entre autres choses, de me donner de la sensibilité, une voix, une assez bonne mémoire, un corps qui aime bouger, un goût pour le partage intelligent des valeurs qui aident à faire grandir mon humanité et (j’ose le penser) comme de toutes celles et tous ceux à qui je m’adresse : il fallait que je trouve un moyen de me servir de tout cela au mieux. Au tout début : le théâtre, comme la musique et la poésie (j’ai co-créé mon premier groupe de poésie à 15 ans !), c’était pour exister ! Pour lutter contre un sentiment d’étouffement et d’incompréhension. Pour m’opposer aux choses qui me faisaient souffrir aussi ! Mais quand j’ai compris que je pouvais contribuer à faire vibrer des gens en devenant un instrument au sein d’une histoire en train de se raconter, j’ai compris qu’il y avait là une place pour moi. Je défends l’idée que chacune et chacun a sa place en ce monde en interaction exacte et juste avec le monde et les autres ! Merci Zoé !
 
Clara : 1) Qu'est-ce qui vous plait dans ce métier ?
 
Comme j’ai pu le dire plus haut, je trouve là une liberté, une dimension plus grande de moi-même, qui elle même me guide sur mon chemin d’humain. J’aime jouer de ma voix comme on joue d’un instrument. Jouer de la nuance, cette façon de donner au mot l’inflexion qui va servir le sens. L’expression orale est infinie de ces nuances qui font le vivant. Tout comme les nuances que le corps exprime au service lui aussi du sens. Jouer de soi comme d’un instrument est le grand privilège du comédien : une dimension autre dans laquelle on se sent magnifiquement vivant ! Et vrai !!! Etonnamment ! Puisque quand moi, Tom, je joue Calliclès, je vais tout faire pour que mon personnage soit le plus totalement crédible : juste ! Sans mollesse ni sur-jeu ! Et puis au-delà de tout ça, c’est aussi le bonheur immense d’aller à la rencontre d’une pensée, d’un raisonnement : ceux de l’Auteur !
 
2) Avez-vous pris des cours pour avoir la bonne intonation lors des représentations ?
 
J’ai pris beaucoup de cours de chant notamment pour apprendre à poser et porter ma voix. Mais ce qu’on appelle l’intonation, c’est autre chose. C’est un accord tacite entre soi et le personnage que l’on est invité à incarner. Le tempérament, le déroulement du texte, les directions précises comme les demandes du metteur en scène, vont nourrir l’invention de ce personnage. Un personnage est semblable à nous, à ceci près qu’il a sa voix propre tout comme il se sert de notre corps pour se mouvoir. Les intonations sont de l’ordre du naturel : quand on travaille un personnage, il faut le laisser nous guider. Il utilisera l’ensemble de ce que nous sommes. L’intonation est induite par le sens ! C’est donc aussi d’une évidence totale qu’il faut bien comprendre ce qu’on raconte pour servir au mieux le sens. L’intention, nourrie par cette compréhension, donnera les directions d’intonation, comme de positionnement (celui du corps, du regard, de la façon avec laquelle on se tient).
 
3) Vous est-il déjà arrivé de bégayer ou de ne plus vous rappeler de la suite de votre texte lors d'une représentation ?
 
Nous avons donné vendredi dernier notre 44ème représentation depuis début janvier et je peux dire que maintenant le texte est bien intégré. Tellement d’ailleurs qu’il est intéressant maintenant d’améliorer d’autres éléments de jeu (j’ai tendance à trop bouger et je dois y être vigilant !). Mais côté texte, non, plus de souci maintenant de ce côté là. En revanche au tout début on n’est pas forcément très… très détendu ! Tout ça s’arrange peu à peu. Bégayer…. non, mais dire un mot bizarre qui parfois même n’existe pas parce qu’on aura dérapé sur une phrase et qu’on essaie de se rattraper au mieux, oui ça m’est arrivé ! L’occasion pour les copains de bien rigoler un moment (mais gentiment) à votre détriment !!! Mais comme on y passe tous ….. !!!!! Merci Clara !
 
 
Photo N. 16 : Dessin de Gaëlle Endres, THLP, pour remercier les acteurs de la Compagnie des Amis de Platon.
 

------------------------------ Article des DNA du 6 avril 21 ---------------------------

Saverne Le Gorgias de Platon joué au lycée du Haut-Barr

 
Le mardi 23 mars était une journée festive qui a mis la philosophie à l’honneur par le biais du théâtre au lycée du Haut-Barr de Saverne.
 
 
Une chance exceptionnelle pour les lycéens et les comédiens de pouvoir vivre un temps de théâtre très vivant et joyeux, chose rare dans cette période.  Photo DNA
 
La pièce « Le Gorgias » de Platon a été jouée à deux reprises dans le petit réfectoire par la Compagnie des amis de Platon devant cinq classes du lycée, ce qui a rendu le texte platonicien très vivant, amusant et même jubilatoire.
 
Par un heureux hasard, c’était aussi la journée des 100 jours avant le Bac où tous les élèves sont venus au lycée habillés de façon particulièrement élégante, ce qui tombait bien pour se rendre au théâtre !
 

L’ambiance d’une demeure antique au restaurant scolaire

 
Lors de son discours d’accueil, le proviseur, Roland Buttner, a salué les cinq artistes de la Compagnie des Amis de Platon qui ont fait le voyage de Pézenas jusqu’à Saverne pour offrir aux élèves une version vivante du dialogue de Platon portant sur la rhétorique et la justice : Gérard Mascot (Socrate), Dominique Ferrier (Gorgias), Ruben Chehadi (Polos), Tom Torel (Calliclès) et Flore Padiglione (logistique).
 
Les élèves auraient dû se rendre en bus à Strasbourg pour bénéficier de cette mise en scène, mais les restrictions sanitaires ont fait que les salles de spectacle étaient fermées. La seule solution pour maintenir l’événement était donc de convier la troupe dans les murs de l’établissement. L’ambiance d’une demeure antique a pu être implantée dans l’espace habituellement dévolu à la restauration grâce aux décors. Les quatre acteurs, avec brio et éclat, ont interprété cette pièce, en alliant le rire au sérieux, la discussion détendue aux échanges de points de vue plus houleux. Socrate a dialogué tout d’abord avec Gorgias le rhéteur, chaleureux et bonhomme, mais moins soucieux de chercher la vérité que de persuader. Puis, il a discuté avec le jeune et fougueux Polos, prêt à tout pour défendre la rhétorique et son maître Gorgias, mais qui a été bien vite pris en défaut par les questions de Socrate. Enfin, c’est avec Calliclès que le débat a pris un ton plus incisif, ce dernier faisant l’apologie de la force et du plaisir alors que Socrate lui a démontré qu’il fallait adopter un mode de vie tempérant et juste.
 
Un temps d’échange avec la salle s’est est suivi, où les élèves ont posé de nombreuses questions, en vue de leur future épreuve de philosophie au bac. Les élèves retiendront la leçon socratique : il vaut mieux se méfier de la flatterie des rhéteurs pour lui privilégier la quête de justice propre à la philosophie !