Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

 
Le Jeudi 29 avril 2021, à 8h, nous, les élèves de 2de2 du lycée du Haut-Barr, avons été invités par notre professeure, Mme Lanères, à rencontrer sur Zoom le réalisateur Baptiste Cogitore, qui nous a présenté son film : Le fantôme de Theresienstadt.  
Également journaliste et reporter, B. Cogitore recueille des témoignages auprès des survivants des camps de concentration du IIIème Reich. Il a voyagé dans le monde entier pour trouver des témoins. Après cinq années de travail, de recherches et d’interviews, le cinéaste a réalisé le film Un fantôme à Theresienstadt, sur le camp de concentration du même nom. 
En début de séance, Baptiste Cogitore nous donne quelques informations pour que nous comprenions mieux le film. Il nous montre le plan de Theresienstadt, qui était au départ un quartier militaire, mais qui est devenue, dès 1941, un ghetto destiné à regrouper les Juifs de la région. C’était une ville fortifiée, entourée de remparts. Nous avons appris que techniquement cette ville pouvait accueillir cinq mille habitants mais que les nazis avaient surpeuplé ce lieu en y regroupant dix fois plus de prisonniers ! Quatre-vingt mille personnes juives sont passées par Theresienstadt et trente mille sont mortes dans ce camp de concentration et de transit. 
 
Theresienstadt était non seulement un centre de rassemblement mais aussi un lieu de propagande pour manipuler l’opinion des populations extérieures, qui devaient ignorer que dans ce camp, on mourait de faim, de maladie, de mauvais traitements, ou on était envoyé en Pologne, au camp d’Auschwitz, pour y être gazé. 
Le réalisateur nous a rappelé ce qu’est la propagande : il s’agit d’un déploiement de divers moyens de communication pour infléchir l’opinion nationale et internationale.
Les nazis ont utilisé Theresienstadt comme un instrument de propagande. La Croix Rouge ayant prévenu les officiers du camp longtemps à l’avance, la venue des visiteurs a été minutieusement préparée par les chefs nazis. Ils ont « purgé » Theresienstadt des personnes malingres, chétives, en les envoyant dans un camp de la mort, à Birkenau. Ainsi le surpeuplement du camp ne se voyait plus.
 
 
De plus, profitant des talents des prisonniers, qui étaient souvent issus de familles d’intellectuels et d’artistes, les chefs ont ordonné aux enfants et à quelques adultes de préparer des spectacles, des concerts de musique. C’était une mise en scène, une comédie tragique, visant à duper les visiteurs de la Croix Rouge, à leur faire croire que Theresienstadt était un lieu de villégiature idyllique. Si un prisonnier était réalisateur il devait tourner un film pour la propagande, s’il était dessinateur, il devait montrer qu’il était heureux en faisant de beaux dessins. Si un des Juifs était jardinier, il devait faire pousser de très belles fleurs.
 
 
Cependant des dessinateurs ont représenté clandestinement la réalité. Sur un dessin on voit des Juifs qui jouent la comédie devant une caméra et derrière un rideau qui cache un entassement de cadavres. Cette image représente aussi l’hypocrisie des nazis lorsque la Croix Rouge est venue voir si cette ville était vraiment ce qu’elle prétendait être.
 
 
                                     Place au visionnage du film. 
 
La séance s’ouvre sur la lecture du poème : « Je suis seul », d’Hanuš Hachenburg. On survole la ville de Theresienstadt puis on entend Claire Audhuy, une écrivaine qui a découvert les textes d’Hanuš Hachenburg, et qui a rédigé une thèse sur les enfants du camp. 
 
 
Nous apprenons qu’Hanuš était un enfant de treize ans, poète d’une grande maturité. Nous n’avons aucune image de lui ; seuls ses textes demeurent, et son histoire, rapportée par des survivants. 
 
 
Puis le film présente des extraits d’interviews de personnes ayant vécu cette tragédie. A l’époque, elles étaient enfants. Les personnes âgées étaient condamnées à mourir au camp. Les hommes, les femmes et les enfants étaient séparés ; ces derniers étaient regroupés dans le bâtiment L417, une ancienne école.
Le reportage de Baptiste Cogitore se concentre ensuite sur Hanuš Hachenburg. Placé dans un orphelinat dès l’âge de neuf ans, Hanuš fut envoyé à Theresienstadt le 24 octobre 1942. Il n’avait pas de frère ni de sœur, c’était un enfant qui ne nouait pas d’amitiés ; il était dans son monde. Il se confiait dans ses poèmes, avouant qu’il pouvait dire au papier ce qu’il ne pouvait dire à personne, car le papier était en mesure de tout accepter, même sa rage.
Le bâtiment L 417 comportait plusieurs chambrées, composées chacune de quarante enfants. La chambrée 1 était considérée comme l’élite ; un témoin raconte qu’il était bon en foot mais qu’il fallait passer des tests pour intégrer cette chambre. Elle était gérée par le professeur de littérature tchèque Valtr Eisinger qui encourageait l’autonomie des enfants et qui leur disait : « Vous allez tout décider par vous-mêmes ».
Les jeunes avaient créé un tribunal d’enfants pour juger ceux qui ne respectaient pas les règles de la Chambre 1. Les membres de celle-ci étaient admirés pour leur vie intellectuelle très riche, et pour leurs talents artistiques ; ils avaient même leur hymne : « République de SKID ». De plus, cette chambrée avait créé son propre journal nommé : Vedem ! 
 
 
Ce travail soudait leur groupe ; les apprentis journalistes avaient le même objectif, qui créait une émulation, une raison de vivre, en dépit de la dureté de leur existence. Vedem occupait leur esprit et ce journal est ainsi devenu la chose la plus importante
pour eux ! Les enfants ont écrit les premiers numéros avec une vieille machine à écrire qu’ils avaient récupérée. Lorsque celle-ci n’eut plus d’encre, les enfants poursuivirent leurs publications à la main. Chaque numéro de Vedem comportait des écrits, des poésies, des critiques, des dessins, de la peinture, des caricatures ; tout le monde apportait sa contribution.
Le film de Baptiste Cogitore nous permet d’écouter un témoin qui, enfant, avait fait le dessin d’un crématorium, il dessinait tous les éléments avec précision, ce qui prouve que les enfants de Theresienstadt n’ignoraient pas ce qui les attendait.. 
 
 
Hanuš était un des auteurs les plus importants de ce journal. En lisant, en écoutant des traductions de ses poèmes, on est surpris par sa facilité à exprimer ses sentiments, alors qu’il n’avait que treize ans. Hanuš a également composé une pièce de théâtre et nous avons vu une partie de cette pièce interprétée par des marionnettistes. 
 
 
C’est une allégorie de la réalité ; il s’est inspiré de tous ceux qui l’entouraient, ou dont il entendait parler : Hitler, les SS, et il en faisait des personnages comiques. L’intrigue est singulière, mais les enfants la comprenaient et savaient de qui parlait l’auteur.
Les enfants de la Chambrée 1 avaient un rituel, ils se réunissaient le vendredi soir pour lire le journal de la semaine. Certains appréciaient beaucoup les poèmes d’Hachenburg ; d’autres étaient moins sensibles à cet art, et trouvaient étrange ce garçon qui passait son temps à écrire.
 
 
Après ce tour dans les chambres, le reportage présente la venue des membres de La Croix Rouge. Les nazis ont montré des enfants et des personnes âgées pour faire croire que le camp préservait les personnes vulnérables. Or, peu avant l’arrivée de la Croix Rouge, cinq mille personnes avaient été envoyées à Auschwitz-Birkenau ; Hanuš Hachenburg était dans l’un des convois. 
 
 
Le but des nazis étant de berner la Croix Rouge pendant sept heures, les Juifs devaient jouer un rôle, tout au long de cette journée, dans les aires de jeux, les cafétérias, les concerts, etc. Les bâtiments avaient été rénovés, les gens avaient été habillés plus dignement… Les SS étaient allés jusqu’à distribuer des bonbons aux enfants devant la Croix Rouge mais ils leur avaient interdit de les manger : il fallait rendre les friandises après la visite.
Malheureusement, leur mascarade a fonctionné puisque la Croix Rouge est restée moins de temps que prévu et a rédigé un article très élogieux au sujet de cette ville.
Deux témoins nous racontent leurs terribles souvenirs du camp d’extermination de Birkenau : les adultes essayaient d’occuper les enfants, même si eux-aussi étaient conscients de la situation. Au camp d’extermination, les instructrices, les éducateurs fabriquaient des crayons, trouvaient du papier dans les bagages abandonnés, cherchaient des livres.
Nous écoutons le témoignage de Dita Kraus, surnommée « la bibliothécaire d’Auschwitz », qui précise qu’elle s’occupait des ouvrages prêtés aux enfants et aux professeur·es. 
 
 
En visionnant le reportage, j’ai compris que ces enfants étaient extrêmement conscients de vivre dans un monde en guerre. La mort était très présente pour eux, car ils voyaient la manière atroce dont les gens mouraient.
Un témoin rapporte qu’il était avec Hanuš et que le docteur Mengele sélectionnait les enfants qui pourraient rester en vie. Hanuš n’a pas été choisi, car on l’a trouvé trop chétif. Notre témoin, en revanche, a eu le cran de demander à être épargné en raison de sa robustesse, et il l’a obtenu.
A la fin du film on apprend que sur la centaine de garçons de la chambrée 1, seuls quinze ont survécu. De leur passage il reste le journal Vedem, soit au total plus de sept cents pages.
 
Remarque de Nathan :
 
Après le visionnage du film, nous dialoguons avec Baptiste Cogitore. Les réactions sont vives : selon Benjamin ce film est « géant », Elysaure le trouve « émouvant », Suzel dit : « j’ai bien aimé les marionnettes. », Romain est « marqué par la représentation d’Auschwitz » ; Mme Lanères trouve le film « frappant ».
Moi, j’ajoute : « histoire impressionnante » !
 
 
B. Cogitore revient sur cet épisode qui nous a beaucoup marqué : celui des mois que les enfants passaient à Birkenau avec les éducateurs professeurs, en attente de la mort. « Ce qui est tragique, c’est que pendant six mois, les enfants et leurs professeurs savaient ce qui les attendait. C’est d’autant plus incroyable que les éducateurs aient tout fait pour que les enfants ne soient pas malades d’angoisse. Ils leur chantaient des chansons, leur jouaient des saynètes de marionnettes fabriquées avec un morceau de pomme de terre… 
 
 
Les enfants blaguaient à propos des fours crématoires. Les plus petits jouaient à ce qu’ils voyaient : la chambre à gaz ; ils mettaient des cailloux dans des trous qui représentaient les fours. Les SS venaient écouter leurs petits poèmes, leurs saynètes, et le lendemain ils envoyaient les enfants à la mort. »
 
 
En 2019, Baptiste Cogitore a reçu un prix par la fondation Auschwitz-Jacques Rozenberg pour son film Le fantôme de Theresienstadt. Ce fut un travail de longue haleine, qui a nécessité de nombreuses recherches, lectures, prises de notes… Le réalisateur nous montre des livres, comme Journal 1941-1942 de Petr Ginz, un camarade de Hanuš, ou Moi Dita Kraus, la bibliothécaire d’Auschwitz.
Le réalisateur aurait beaucoup aimé montrer ce film à Georges Brady, un survivant attachant et sympathique. Malheureusement, ce témoin est décédé peu avant la sortie du film.
Parmi toutes les recherches effectuées, tous les voyages, les documentations, les entrevues, l’étape que Baptiste Cogitore a préférée fut celle du montage ; il compare son œuvre à un tissu fluide, qu’il a tissé patiemment, fil à fil, pour obtenir la trame finale.
 
Mathilde reprend la parole :
 
J’ai bien aimé ce film, il était très touchant. Cela m’a permis d’en apprendre plus sur la période nazie au cours de laquelle les Juifs ont été si cruellement persécutés. J’ai ressenti de la colère lorsque les nazis ont mis en place des stratagèmes pour duper la Croix Rouge. Ce que j’ai préféré c’est le passage sur la vie des enfants, lorsqu’ils essayaient de s’occuper en gardant malgré tout un peu de leur insouciance. J’ai beaucoup aimé le concept d’un journal collectif créé par ce groupe de jeunes. 
 
 
Hanuš m’impressionne particulièrement : il fait part de ses sentiments dans ses poèmes, et il parvient même à écrire une pièce drôle dans un contexte si horrible ! Et je suis sidérée de voir ce que les enfants ont vécu, de leur rapport à la mort. Normalement l’enfance rime avec la vie, l’espoir, et pas avec des choses aussi sombres et graves que la mort et l’extermination. J’ai aussi apprécié ce film parce que je trouve qu’il est bien construit avec de très beaux dessins qui nous permettent facilement de nous imaginer cette fameuse Chambrée 1. L’alternance entre les dessins, la lecture des œuvres de Hanuš et les interviews offre un ensemble bien équilibré. 
J’ai apprécié de voir des personnes âgées -les témoins- raconter leur enfance. On pouvait percevoir leur émotion quand ils parlaient et redécouvraient le fameux journal. Ce film nous a rappelé ce que nous avions vu en Histoire au cours de notre scolarité, mais de façon plus intime, à travers les regards de celles et ceux qui ont vécu ces terribles événements.
Personnellement, j’ai visité un camp de concentration, Le Struthof, et le Mémorial de Schirmeck, avec ma classe de troisième. Là-bas j’ai vu les pièces servant de chambres à gaz mais aussi des bâtiments où les Juifs étaient consignés. Cela m’a permis de mieux appréhender la réalité. Et puis ce film m’a fait connaître l’existence d’un pays dont nous ne parlons pas, en Histoire : la République Tchèque. 
Enfin, le reportage nous montre aussi les conséquences de la discrimination et nous incite à la vigilance par rapport à toutes les formes d’intolérance, de racisme et de préjugés qui peuvent si vite faire basculer les humains dans la haine et l’horreur. 
 
Toute la classe remercie sincèrement Mme Lanères d’avoir organisé cette rencontre avec le réalisateur Baptiste Cogitore. Et nous remercions l’artiste lui-même, le journaliste, le chercheur, pour le temps qu’il nous a accordé. C’est une expérience que nous n’oublierons pas !
 
Oster Mathilde et Nathan Lageard, 2de2  
 
Baptiste Cogitore conclut ainsi : « Faites votre propre Vedem ! »