Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

 
Le 12 octobre 2021, deux classes du lycée du Haut-Barr, la 2de3 et la T-STI1 embarquent en bus avec leurs professeures, Caroline Freys -Histoire-Géographie-, Edwige Lanères -Français- et Mathilde Vautier -Allemand-, pour assister à la représentation d’une pièce de György Tábori, traduite et adaptée sous le titre Un jour d’été, au PréO d’Oberhausbergen.
 
 
Les élèves connaissent le sujet de la pièce, son contexte, et de façon plus précise, sa scène d’exposition, qu’iels ont lue et jouée en amont de la représentation. Ces jeunes savent que plus du tiers des déportés d’Auschwitz venaient de Hongrie. « Un jour d’été de l’année 44, une année d’une excellente moisson pour la mort, ma mère revêtit sa belle robe noire à col de dentelle » conte Noé, incarnant le fils de la protagoniste. « Co-cho-nne- de-jui-ve ! » assène Hacer, dans le rôle de la voisine antisémite, tandis que François rit, à l’évocation des Csibotnik, cette « famille nazie à face de poissons », et de « sa portée d’alevins ». 
 
    - Métaphore filée ! 
    - Exact.
 
György Tábori, publia en 1979 Le courage de ma mère, un récit dialogué sur la déportation d’Elsa Tábori, et l’incroyable retour de cette femme, au soir-même de son arrestation. Cette histoire vraie, devenue tragi-comédie sous la plume du dramaturge hongrois, fut adaptée en 2020 par la comédienne et metteuse en scène Emma Massaux. Accompagnée des jeunes actrices Marie Paillat et Joséphine Hazard, l’ancienne circassienne invente trois personnages, trois jeunes femmes qui enquêtent sur l’aller-retour de la mère de Tabori entre Budapest et Auschwitz.
 
 
Emma raconte, joue, mime avec une énergie enthousiasmante, tandis que Joséphine tape à la machine l’histoire reconstituée de cette nouvelle « mère courage ». Entre deux scènes débordantes de vie, Marie joue une valse, en guise d’interlude, sur son accordéon chromatique. 
 
 
Le public se laisse emporter par le rythme varié des scènes, interprétées avec une précision digne d’une chorégraphie de danse contemporaine. C’est un ballet de répliques ciselées, de gestes parfaitement coordonnés, qui semblent orchestrés par l’éclairage éloquent d’Hector Monteil-Bauer.
 
 
D’abord intimiste pour évoquer l’appartement de la mère et de son fils, la lumière s’allonge pour modeler, dans notre imaginaire, le train où s’entassent des milliers de déportés.
 
Puis les lampes s’élèvent, une verrière semble surgir dans le lointain : tout le monde descend, gare d’Auschwitz. Des voix s’élèvent dans cette lueur blafarde : brouhaha des réclamations et des demandes naïves, incongrues ; ordres aboyés par un cerbère nazi ; injonctions plus calmes d’un supérieur qui dompte le gardien des Enfers.
La voix de la mère s’enchâsse dans celle de son fils, elle-même relayée par nos trois actrices. 
C’est cette voix, cette parole digne, foncièrement humaine, qui sauvera Elsa Tabori, seule rescapée parmi une foule de quatre mille personnes condamnées. La conscience de son humanité poussa la mère de Georg à s’extraire de la masse humaine, et à surmonter son atroce sentiment de trahison pour réclamer à l’officier allemand le droit de rentrer chez elle. L’audace de sa démarche, la dignité de son maintien et de sa parole convainquirent le militaire d’ordonner que l’on offrît à cette femme une place dans le train pour Budapest, ainsi qu’un repas chaud.
Tissée de plusieurs instances narratives et de divers registres -tragique, comique, dramatique-, la pièce nous emporte dans cette parabole effarante, celle d’un aller-retour de la vie à la mort, où une Eurydice sexagénaire trouve, presque seule, -sous l’impulsion d’un adorateur- la force de se hisser hors du gouffre pour retrouver, sinon son Orphée, du moins son foyer, sa sœur, et la partie de rami promise à l’aube de cette épopée.
Un peu sonnés par l’effervescence de ce voyage en ellipse, nous applaudissons la performance des actrices et des techniciens ; les lumières de la salle nous ramènent au réel, et les personnages se transforment en personnes pour venir discuter avec les spectatrices et spectateurs. L’échange est spontané, riche, parfois drôle, comme la représentation.
 
 
  - Pourquoi avez-vous choisi ce sujet historique ? demande Enzo.
  - Cette histoire m’a touchée et interpelée, répond Emma Massaux. J’ai voulu la mettre en scène dans l’idée d’assurer une forme de transmission. Quand j’étais lycéenne, il restait encore quelques témoins de la seconde Guerre Mondiale ; ils venaient nous parler de leur vécu. A présent qu’ils sont morts, il faut continuer à transmettre ces expériences, et le théâtre permet cela.
  - Quelle formation avez-vous suivi, pour devenir comédiennes ? s’enquiert Benjamin, visiblement intéressé.
  - De nombreux chemins mènent au théâtre, et nous continuons toujours à nous former. Il existe des stages de deux semaines, comme des formations de cinq ans, dans des écoles de théâtre.
Joséphine intervient : « Moi, j’étais timide. C’est une copine de classe qui m’a incitée à venir avec elle aux ateliers théâtre. Je l’ai suivie, j’ai adoré, et finalement j’en ai fait mon métier. »
  - Dans mon établissement, les cours de théâtre étaient obligatoires, ajoute Marie. Je n’y suis pas allée de mon plein gré, mais quand il a fallu choisir mon orientation, j’ai fait mon choix, et me voici comédienne.
 
 
Intriguée par le décor, Noémie interroge les artistes sur leurs choix scénographiques.
 
   - J’ai souhaité travailler à partir de praticables nus, bruts. Ils deviennent tantôt un train, tantôt une estrade, un siège… Quant aux malles en métal, ce sont des cantines ; elles servent habituellement à transporter le matériel pour les spectacles : les costumes, les accessoires.
   - « Esthétique brechtienne, serait-ce une allusion à Mère courage ? se dit Edwige Lanères, la professeure de Français. Il faudra que j’en parle avec les élèves… »
   - Et pourquoi avez-vous placé cet écran, au fond ?
   - C’est un cyclo (un cyclorama), répond l’éclairagiste : il permet de créer des atmosphères. Quand les rampes d’éclairage s’élèvent, les 24 projecteurs envoient une lumière claire pour évoquer une gare, ou un espace large, qui contraste avec celui du train.
 
 
   - Comment êtes-vous devenu technicien lumière pour le théâtre ?
   - Je vivais à Lyon, je n’ai pas passé mon bac ; je jouais de la musique, et j’en joue toujours ; je fais des concerts. Un jour j’ai rencontré un régisseur, à Strasbourg. Il m’a proposé de travailler comme technicien, et voilà. J’ai appris sur le tas.
   - Vous portez toutes les trois un seul gant, remarque un élève.
   - Oui : pour les costumes, comme pour le décor, nous n’avons pas cherché à faire une reconstitution. Quelques éléments suffisaient à rappeler les années 1940. Le reste, c’est l’imagination des spectateurs qui le crée.
   - Pourquoi vous jouez pieds nus ? demande Max.
   - Es-tu déjà monté sur scène ? Viens, monte, propose Emma. 
 
 
L’ado géant rejoint sur le plateau les trois femmes, qu’il domine de deux têtes. Ses baskets crissent fortement, à chaque pas.
 
   - Tu entends ?
   - Oui, je comprends.
 
Amusé par la différence entre la haute taille de son camarade et celle des comédiennes, Liam ose : « Est-ce que la taille compte, au théâtre ? »
 
   - Je mesure un mètre cinquante, répond l’impétueuse metteuse en scène, sans se démonter. Tu vois, nous ne sommes pas grandes, et cela ne nous empêche pas de jouer.
   - Pour une fois, je suis la plus grande, sourit Joséphine.
   - Est-ce qu’il vous arrive d’avoir des trous de mémoire ? interroge Célia.
 
Les actrices se regardent, complices. « Oui, avouent-elles. Mais cela ne se voit pas. Parfois nous sommes réellement bloquées, mais les autres nous aident, reprennent une réplique, et nous retombons sur nos pattes. »
C’est vrai, nous n’avons rien remarqué ; tout le spectacle était parfaitement fluide.
S’adressant cette fois à Marie, l’accordéoniste, une élève demande comme elle s’y prend pour pleurer ainsi, sur commande.
 
  - Chacun a ses propres astuces. Pour moi, je me remémore des souvenirs tristes, des situations dans lesquelles j’ai réellement pleuré, et les larmes viennent.
  - Et la chorégraphie ? Qui l’a créée ? interrompt un autre lycéen.
  - C’est moi, annonce Emma.
 
Décidément, ces actrices ont plus d’une corde à leur arc !
Enchanté·es par ce spectacle hors du temps, nous retrouvons l’extérieur, les nuées automnales, le bus, le lycée, mais en nous, un accordéon joue une valse ; deux jupes volent, une clown agile saute sur une structure métallique et file se réfugier dans un coin de lumière cuivrée, un train, un souvenir, avec ses sœurs de scène.
Merci à vous les élèves !
Et merci aux artistes, pour ce voyage mnésique en danse et en musique !
Edwige Lanères
 
Pour visionner un extrait de l’enregistrement audio de la pièce, cliquer ici : https://youtu.be/Zw8pm6aOp9Y
 
Les photographies signées tmt ont été prises par le talentueux photographe Emmanuel Viverge, qui nous autorise aimablement à publier ses oeuvres.