Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

Photo 1 : Photo de groupe : au centre, les deux conférenciers, M. Jean-Laurent Vonau et M. Sébastien Soster, autour d’eux, les élèves de TG1 et THLP, à droite Mme Marie-Laure Jundt, à gauche, Mme Claire Le Van et M. Jean-Charles Fischer.


Ce vendredi 27 janvier 2023, deux conférenciers historiens sont intervenus auprès des TG1 et des THLP, dans le cadre du cours de philosophie de Mme Claire Le Van pour le projet UNESCO « Persécutions et Résistances », afin de leur parler des persécutions et résistances qui se sont déroulées en Alsace à partir de l’Annexion de fait de l’été 1940. M. Jean-Laurent Vonau, professeur de faculté (re), spécialiste de l’histoire du droit, et membre de la SMLH d’Alsace du Nord - association partenaire de ce projet avec laquelle nous collaborons depuis plus de cinq ans - leur a expliqué que comme l’Alsace est devenue partie intégrante du IIIème Reich, les Alsaciens devaient se comporter en « Allemands loyaux », sous peine d’être considérés comme des « opposants au régime », et par suite, subir une oppression plus dure qu’en zone occupée, notamment au camp de redressement de Vorbruck-Schirmeck. Ensuite M. Sébastien Soster, enseignant-relais au Mémorial de l'Alsace-Moselle de Schirmeck, grâce à notre partenariat avec les Archives d’Alsace, a évoqué « une jeunesse alsacienne en résistance – 1940-1943 », en présentant trois groupes de jeunes résistants alsaciens : La main noire, Les Pur-Sang et le réseau Adam. Pour chacun de ces trois réseaux, il a précisé leur composition et leur organisation, les motivations qui les ont poussés à agir, ainsi que la nature de leurs actes de résistance. Les deux conférenciers ont conclu en rappelant aux lycéens qu’il faut être vigilant, lucide et guidé par des valeurs humanistes, pour que l’histoire ne se répète pas.


Photo 2 : Mot d’introduction de Mme Le Van pour accueillir les deux conférenciers.


A. Conférence de M. Jean-Laurent Vonau.


Photo 3 : M. Jean-Laurent Vonau effectue une brillante conférence.


M. Vonau a présenté une carte avec la France divisée en quatre, en expliquant que le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et la Moselle ont été annexés de fait au Reich en juillet 1940. Ce sont de ce fait les seules régions de France à avoir fait l'expérience du totalitarisme : elles ont été non seulement germanisées, mais aussi nazifiées, car il s’agissait pour Hitler de récupérer toutes les populations dites « de souche allemande » (Volksdeutsche). L’idéologie raciste, précise-t-il, violemment antisémite, opère des hiérarchies au nom de la « pureté du sang » : seul le « sang allemand » est considéré comme « noble » ou « supérieur ». Une loyauté absolue est exigée des citoyens à l’intérieur du Reich, si bien que la résistance est durement réprimée. M. Vonau a également rappelé qu’il n’y a pas eu de rafles en Alsace. En septembre 1939 a eu lieu l’évacuation de la communauté juive de Strasbourg à Périgueux (Dordogne). Les Juifs alsaciens sont partis volontairement, à Nancy, à Paris... Il n’y a eu que 1831 Juifs qui sont restés en Alsace. Ils ont été rassemblés à Schirmeck, puis expulsé vers la France. Simone Polak, savernoise, a fait partie de ces expulsés, qui ont été ensuite déportés. [Simone Polak : naissance à Schirmeck, enfance à Saverne, départ à 15 ans, premier enfermement à Drancy, puis le trajet infernal vers Auschwitz-Birkenau et Bergen-Belsen... et le titre de son livre : "Agis comme si j'étais toujours à tes côtés", les dernières paroles de sa mère lorsqu'elles arrivent à Auschwitz-Birkenau et sont séparées. Sa mère et son frère qu'elle ne reverra plus. Suivent les journées à porter des pierres, la faim, la fatigue, le froid, le passage à Bergen-Belsen, puis le retour difficile à Strasbourg, avec une longue maladie - la tuberculose osseuse - et le silence, pendant 70 ans. Lors d’une rencontre avec des élèves, elle leur dit : "Pour avancer, il faut le vouloir, il faut être capable d'aimer les autres."].


Photo 4 : Carte présentant la France après l’armistice du 22 juin 1940. 


I. La répression en Alsace.


Photo 5 : M. Jean-Laurent Vonau explique qui est le Gauleiter Robert Wagner.


Le conférencier, auteur de l’ouvrage Le Gauleiter Wagner, le bourreau de l’Alsace, a montré en quoi ce haut dignitaire du parti nazi était une véritable incarnation du Mal, fanatique et sans scrupules. Le Gauleiter Wagner s’était engagé auprès de Hitler à « germaniser l’Alsace en moins de cinq ans ». De 1940 à 1945, « le bourreau de l’Alsace » a réalisé l’annexion de fait de la région au IIIème Reich, ordonné l’incorporation de force de 100 000 « Malgré Nous » alsaciens, décidé l’exécution des évadés de Ballersdorf et des résistants de la Main Noire, organisé l’embrigadement des jeunes garçons et filles dans les organisations paramilitaires du RAD, soutenu activement les sinistres expériences menées par les médecins nazis sur des détenus du Struthof... Un effrayant bilan ! Nazi de la première heure et serviteur zélé de Hitler, le Gauleiter Wagner exerça un pouvoir sans partage, poussant l’idéologie nationale-socialiste à son paroxysme. Au printemps 1946, son procès et celui de ses complices mirent en émoi toute l’Alsace, sortie traumatisée de la guerre. Jamais Wagner n’émit le moindre regret. Au moment de son exécution, il s’écria : « Vive Hitler ! Vive l’Alsace allemande ! ». 


Photo 6 : Gustav Adolf Scheel, patron de la police de sécurité et du SD en Alsace en 1940.


Si le Gauleiter Wagner avait des pouvoirs exorbitants, ajoute le conférencier, un seul domaine lui échappe, celui des armées et de la police, c’est Himmler qui en a la haute main. La répression politique relève de la Gestapo (police secrète d’Etat) et du SD (Sicherheitsdienst – service de sécurité). Dès juillet 1940, Gustav Adolf Scheel est devenu commandant de la police de sûreté (SIPO) et du service de la sécurité-renseignement (SD) en Alsace annexée (Befehlshaber der Sicherheitspolizei).  En Alsace, une toile d’araignée oppressive est mise en place, en utilisant les services des Vertrauungsmänner (des hommes de confiance, ce sont des fonctionnaires qui travaillent de manière permanente pour repérer les insoumis), et des Zubringermänner (des hommes qui dénoncent occasionnellement les récalcitrants, toujours pour de l’argent…). Il y a deux Kommandos de la Gestapo, l’un situé à Strasbourg, l’autre à Mulhouse. Un camp est créé dans la vallée de la Bruche pour briser la résistance politique dans le Bas-Rhin et le Haut-Rhin. Le camp de redressement de Vorbruck-Schirmeck va être aménagé dès le 6 juillet et sera opérationnel à partir du 13 juillet. « Plus qu’un camp de rééducation (Erziehungslager ou Umschulungslager), plus qu’un camp de triage (Auffanglager), ce Sicherungslager est un camp de sureté », précise le conférencier, « c’est le seul de l’univers concentrationnaire allemand, il devait rééduquer les réfractaires par la torture, la répression, voire la disparition… ». Près de 15 000 personnes sont passées par ce camp entre le 13 juillet 1940 et le 23 novembre 1944, et au moins 500 d’entre elles sont mortes lors de cette détention. Environ 60 policiers étaient affectés à la surveillance du camp de Schirmeck : un tiers des effectifs faisaient de l’excès de zèle dans les brimades, les coups, les humiliations.


Photo 7 : L’entrée du camp de Schirmeck, donnant sur le camp des hommes en 1943. 


Le SS-Hauptsturmführer Karl Buck sera commandant du camp jusqu’à la fin, il est surnommé le « commandant à la jambe de bois » (en raison de sa blessure lors de la Première Guerre mondiale). Ce fanatique pervers pratique des actes d’une extrême cruauté. 


Photo 8 : Karl Buck, commandant à partir de 1940 du camp de sureté de Schirmeck.


Dans ce camp, les Häftlinge (les prisonniers) n’ont le droit de se déplacer qu’en courant, il faut courir sous peine de recevoir des coups. Les détenus étaient tondus à l’arrivée, puis leur crâne lisse était frotté à vif par des brosse à crins durs pour animaux, ensuite on leur mettait la tête dans des baquets d’eau froide. Dans ce camp à l’écart, la torture est monnaie courante. 


Photo 9 : Les pratiques humiliantes et violentes dans le camp de sureté.


Toute la résistance alsacienne est passée par le camp de Schirmeck. Il n’y a eu que très peu d’Alsaciens au Struthof. « Durant la guerre, rappelle le conférencier, les Alsaciens ne connaissaient que Schirmeck, et ils ignoraient l’existence du Struthof. C’était Schirmeck qui provoquait la terreur en Alsace, parce que l’on voyait, parfois, dans les villages, revenir des personnes amaigries, blessées, tuméfiées… ». Ces rescapés de l’enfer répressif, réfractaires à l’Annexion de fait et à l’incorporation de force, prisonniers de guerre, résistants…, on les appelait les « Schirmeckler ». M. Vonau déplore le fait qu’il ne reste aujourd’hui que peu de traces du camp de sureté, intégralement démonté, à l’exception du bâtiment de la « Kommandantur » qui date de 1943. Aujourd’hui propriété privée, une simple plaque apposée sur la façade rappelle la triste page d’histoire qui s’est écrite en ces lieux. Une stèle mémorielle a été posée à l’emplacement de l’ancien camp de Schirmeck en 2019. 
M. Vonau a précisé qu’en 1942, environ 130 000 Alsaciens et Mosellans ont été incorporés de force dans l’armée allemande, la plupart a été envoyée sur le front de l’Est et 40 000 sont morts. La mémoire des « Malgré-nous » est sensible encore aujourd’hui, notamment en raison du massacre d’Oradour-sur-Glane où une expédition punitive dans ce village de Haute-Vienne, à 15 km de Limoges, a eu lieu le 10 juin 1940, faisant 644 victimes civiles. Parmi les Waffen-SS qui ont mené cette action, il y avait 13 incorporés de force alsaciens, de simples exécutants, dont une majorité n'avait pas tiré un coup de feu et était âgée, à l'époque des faits, de moins de dix-huit ans. Cette année a lieu le 70ème anniversaire du controversé procès de Bordeau, procès qui a condamné certains auteurs du massacre de ce village martyr (mais pas les commanditaires). La population limousine réclamait un jugement de vengeance, les avocats alsaciens invoquaient la contrainte qui a pesé sur les incorporés de force, contexte peu favorable à un jugement serein.

II. La Résistance alsacienne.


    1. La résistance spontanée et inorganisée 


Le conférencier explique que la Gestapo fournit toutes les semaines un rapport à Berlin qui contient des informations secrètes, ne paraissant pas dans les journaux. Dès juillet 1940 des sabotages ont lieu, comme la dispersion de clous sur les routes, le fait de couper des lignes téléphoniques, mettre des morceaux de sucre dans les réservoirs d’essence, crever des pneus. « On parle peu de cette résistance inorganisée », précise M. Vonau. « En 1943, par exemple, à Batzendorf (près de Haguenau), un projecteur anti-aérien des nazis a été saccagé, donc mis hors d’usage malgré les sentinelles qui n’ont rien vu. Ce type de résistance a existé jusqu’en 1945, donc jusqu’à la fin ». 


    2. La Résistance organisée : c’est M. Sébastien Soster qui en parlera.


    3. Les filières de passeurs


M. Vonau poursuit en mentionnant les filières de passeur. « Tout ce qui affaiblit l’ennemi constitue un acte de résistance. S’évader d’Alsace et rejoindre la France occupée était un acte d’opposition jusqu’au 12 novembre 1942, après, toute la France sera occupée, il ne sera dès lors plus la peine de traverser les Vosges, il faudra aller en Suisse ». Théo Gerhardt est un résistant savernois qui a refusé l'annexation de l'Alsace, son père était chef de gare à Saverne. Théo avait une bonne connaissance des environs et en particulier de la forêt autour du Haut-Barr, ce qui lui a permis d’organiser une filière d'évasion. Une rue lui est dédiée à Saverne.


    4. Les Alsaciens en résistance hors d’Alsace


CIVILS : Charles Mangold, à Périgueux, là où les Alsaciens ont été évacués ; René Fontaine qui est devenu « chirurgien du maquis » près de Périgueux, il a accueilli les blessés, il les a cachés et soignés. Deux autres médecins le suivront, mais décèderont : Schieffman et Schreiber. A Sarlat, Nessmann, est un médecin qui soigne les blessés et qui est à la tête du maquis. 
MILITAIRES : des incorporés de force font de la résistance. Jacques Knecht (Roberstau) déserte l’armée allemande dans la Drome et rejoint le maquis de l’Ardèche, mais est repris par les Allemands et sera fusillé comme résistant ; Pierre Michel, orphelin de Strasbourg (Neudorf), il n’a pas de famille, donc il peut s’engager librement, il ne met pas en péril sa famille. Il est dans la Luftwaffe (défense anti-aérienne), son régiment est situé près de Chantilly : il y a une ancienne carrière de grès où les Allemands fabriquent des V1. Il veut déserter, va trouver le maire pour lui faire part de son intention, et lui demande des habits civils. Le maire va lui demander de rester pour être un agent infiltré qui va pouvoir fournir le plan complet de l’usine. Il sera aidé par Georges Reiter (de Wisches, vallée de la Bruche), qui est un apprenti géomètre, donc pour lui faire des plans est chose aisée. Dès que le premier V1 est sorti de l’usine, le site est bombardé par l’aviation anglaise. Puis ce régiment se déplace en Belgique, où une nouvelle usine, cette fois pour V2, va être créée, à nouveau Pierre Michel donnera des informations aux résistants belges, ce qui permettra encore une fois à l’aviation anglaise de bombarder l’usine. Il n’a jamais été découvert et a survécu à la guerre. 
M. Vonau insiste sur l’importance du « caractère » des résistants : « écrire et penser », dit-il, « cela ne requiert que du travail et de l’assiduité, mais oser résister, cela dépend non du niveau de culture, mais de la force de caractère ». 


Commentaire de Mme Le Van : La force de caractère est la définition même, chez Kant, de la « vertu » qui suppose une force ou une puissance, notamment propre au courage, pouvant se manifester autant chez des femmes que des hommes. Le philosophe Michel Terestchenko, dans Un si fragile verni d’humanité : Banalité du mal - Banalité du bien (2005) indique que les Résistants étaient dotés d’une puissante force d’affirmation en raison de leur « fidélité profonde » à leur identité et leurs valeurs, qu’elles soient religieuses, politiques, patriotes ou humanistes, ce qui leur a permis de surmonter les intimidations, endoctrinements et brimades pour inventer des alternatives et des transgressions. 


Photo 10 : Nous sommes tous captivés par les propos de M. Jean-Laurent Vonau.


Conclusion : « Il faut être vigilant, car l’Histoire se répète », avertit l’universitaire. « Il y a un parallélisme entre ce qui se passe actuellement en Ukraine dans le Donbass et ce qui s’est passé en 1940 en Alsace : l’annexion unilatérale, l’incorporation de force… Il ne manque plus que les camps de redressement… En Alsace, on ne peut pas parler de « collaboration », mais de « ralliés au régime ». Ces personnes ont été séduites par des motivations peu glorieuses, notamment par l’appât du gain : les gens se sont fait acheter. Rester lucide et faire preuve d’esprit critique est essentiel pour ne pas se laisser embobiner. Il faut non seulement avoir une opinion personnelle éclairée, mais aussi savoir prendre position. 2/3 des personnes ont été attentistes en Alsace, ne voulant prendre aucun risque et attendre que cela passe. Ceux qui ont eu le courage de résister représentent 2 à 3% de la population en France. 3 à 4% se sont ralliées au régime nazi ». 
Références de livres de M. Jean-Laurent Vonau :


*Le procès de Bordeaux – Les Malgré-Nous et le drame d’Oradour, éditions du Rhin, 2003
*Le Gauleiter Wagner – Le bourreau de l’Alsace, Editions La Nuée Bleue, 2011
*Profession bourreau – Struthof et Schirmeck : les gardiens de camps et les « médecins de la mort » face à leurs juges, Editions La Nuée Bleue, 2013

B. Conférence de M. Sébastien Soster.


Photo 11 : Diapositive introductive avec Marcel Weinum (La main noire), Alice Daul (Les Pur-Sang) et Alphonse Adam (Front de la jeunesse Alsacienne : FJA).


M. Sébastien Soster a commencé par mentionner des mots clefs concernant la résistance : « résister, choisir, désobéir, s’engager, clandestinité », qui entrent en résonnance avec des concepts de philosophie liés aux notions de liberté, morale et justice. 


Photo 12 : Des mots clefs pour appréhender la Résistance.


Puis il a présenté une définition de la Résistance forgée par François Marcot (Maître de conférences à l'Université de Franche-Comté - Conservateur au Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon dont il est l'historien) : La Résistance « est un combat volontaire et clandestin contre l’occupant ou ses collaborateurs afin de libérer le pays. Résister, c’est réagir à un état de fait inacceptable et, au sens littéral du terme, insupportable. On ne peut qualifier de Résistance un sentiment ou une réflexion intellectuelle. On ne résiste pas dans sa tête, la Résistance est (toujours) une forme d’action ». 
Commentaire de Mme Le Van : Cette définition, très sartrienne, insiste sur la nécessité de l’action qui est l’expression même de la liberté. La Résistance implique d’oser passer à l’acte dans un contexte oppressif. Bien entendu, le sentiment de révolte, ainsi que les pensées qui permettent de construire une réaction d’opposition à des déviances idéologiques, sont nécessaires, mais si l’individu en reste là, il ne devient par Résistant, car il ne s’est pas confronté à la prise de risque inhérente aux opérations de lutte contre l’occupant.

I. La main noire


Photo 13 : Marcel Weinum, fondateur de La main noire.


Le conférencier parle de Marcel Weinum (1924-1936), fondateur du réseau La main noire. A son retour de l’évacuation en Dordogne, il découvre avec effroi que l’Alsace est totalement nazifiée. M. Soster nous fait écouter un extrait d’interview de Jean-Jacques Bastian, dit « Franzmann » (le français), membre du réseau La main noire : « Nous étions choqués, il y avait des uniformes et des drapeaux nazis partout. Nous ne voulions pas de cette mentalité autoritaire. En tant qu’éclaireur au scoutisme, nous avions promis de servir Dieu et la Patrie, et non le Vaterland. Il fallait réagir. Avec Marcel Weinum, nous nous sentions français et nous n‘acceptions pas cette main mise. Nous avons monté des actions, avec un véritable arsenal à domicile. Mon action était notamment de déchirer des drapeaux ». Dès le mois de septembre 1940, avec quelques amis et d’anciens élèves de la maîtrise de la cathédrale de Strasbourg, âgés de 15 à 18 ans, et issus de milieux modestes, Marcel Weinum organise l’un des premiers réseaux de résistance en Alsace. Le nom « La main noire » symbolise la main mystérieuse et inquiétante qui venge l’Alsace des affronts nazis. 


Photo 14 : Jean-Jacques Bastian, membre du réseau La main noire.


Le réseau, au départ, a mené des actions jugées être des « gamineries » par le Gauleiter Wagner (arracher des drapeaux, inscriptions dans la rue de slogans). Mais peu à peu leurs actions sont devenues plus importantes : crever des pneus, diffuser des tracts, attaquer des vitrines où étaient exposés des bustes d’Hitler, couper les fils du système d’aiguillage du réseau ferré du Reich, cambrioler, prendre contact avec le consul anglais à Bâle…. A partir de l’attaque à la bombe de sa voiture personnelle à Strasbourg, le 8 mai 1941, le Gauleiter Wagner va prendre très au sérieux ces actions de résistance, car il s’agit du premier attentat, en territoire anciennement français, contre une personnalité nazie éminente.  

Photo 15 : Ceslav Sieradzki, martyr de la barbarie nazie, plus jeune membre de la Main noire.

Le 19 mai 1941, Marcel Weinum et Ceslav Sieradzki sont arrêtés et maintenus dans deux cellules séparées. Ils se taisent lors de la torture. Mais les nazis vont envoyer une « torpille » dans la cellule de Ceslav Sieradski : ce jeune alsacien blessé se fait passer pour un résistant, mais il est en réalité à la solde des nazis, et c’est ainsi qu’il obtiendra des confidences du jeune membre de La main noire, qu’il rapportera aussitôt. C’est ainsi, qu’en juillet, tous les membres de la Main Noire seront à leur tour arrêtés. Marcel Weinum est condamné à la peine de mort par le Sondergerichte (juridiction d’exception) qui a lieu du 27 au 31 mars 1942, ses camarades à des peines d’emprisonnement. Certains d’entre eux sont internés au redoutable camp de Schirmeck, notamment René Kleinmann. Ceslav Sieradzki y sera sauvagement assassiné : « Je nous revoie dans une baraque du camp de Schirmeck, en train de regarder derrière les grillages de la fenêtre le 12 décembre 1941. Une meute de Kapos avec des gourdins pourchasse un prisonnier en hurlant des ordres : lever, coucher, sauter, à genoux… La loque humaine ensanglantée, la tête rasée, est piétinée sur le gravier. Mais la frêle silhouette se relève, étend les bras et crie « Vive la France ! ». Les Kapos entraînent leur victime et une demi-heure après, les haut-parleurs du camp annoncent qu’il « a été abattu lors d’une tentative de fuite ». Le communiqué officiel du Reichsführer SS chef de la police allemande annonça que Ceslav Sieradzki était fusillé « wegen Widerstandes » (pour cause de résistance). C'est la première fois qu'était employé ce terme de ‘résistance’ », Témoignage de Jean- Jacques Bastian, membre du réseau La main noire, qui a survécu. 

Photo 16 : La lettre d’adieu de Marcel Weinum.

M. Soster évoque la lettre d’adieu de Marcel Weinum à sa famille, où l’on découvre qu’il fait preuve d’une force de caractère exceptionnelle. Courageux, apaisé, il est fortifié par sa foi catholique inébranlable. Il est décapité à l’âge de 18 ans, le 14 avril 1942. Une reconnaissance posthume permet de faire rayonner l’engagement héroïque et sacrificiel de ce jeune Résistant.

Photo 17 : La reconnaissance posthume.


II. Les Pur-Sang

Photo 18 : Le groupe de Résistantes presque au complet en août 1941.


De l’automne 1940 à février 1942, en Alsace annexée, un groupe de résistants composé majoritairement de jeunes femmes, membres des Guides de France, organise une filière d’évasion pour des prisonniers de guerre et des civils qui veulent quitter clandestinement l’Alsace alors annexée à l’Allemagne nazie, notamment pour échapper au Reichsarbeitsdienst, le service du travail allemand. Elles les cachent, puis les accompagnent sur les sentiers, par tous les temps, pour s’assurer de leur passage. Lucienne Welschinger, la fondatrice du réseau, a agi avec Emmy Weisheimer, Lucie Welker, Marcelle Engelen, ainsi que les sœurs Alice et Marie-Louise Daul. Elles choisissent de s’appeler « Les Pur-Sang » pour tourner en dérision l’obsession raciale des nazis. Leur but est de servir la France par tous les moyens possibles. 


Photo 19 : M. Soster explique les actes de résistances menés par Les Pur-Sang.


Ce réseau permet à plus de 350 personnes de gagner la France. Parmi eux, un certain Marcel Rudloff, futur maire de Strasbourg, qui a quitté la région le 31 janvier 1942. Il était alors âgé de 19 ans. Le point de rencontre était situé devant l’église Saint-Jean de Strasbourg, pour les hommes qui, munis du mot de passe ‘Pierre’, cherchaient à prendre contact avec le réseau. Ils étaient ensuite habillés, munis de faux papiers et conduits vers la frontière alsacienne. 


Photo 20 : Les trajets d’évasion.


Durant leurs activités d’extraction, fort risquées car entrant en opposition avec le régime nazi, les Pur-Sang ont aussi bien traversé les Vosges qu’entrepris des périples par la Suisse et la Moselle. « Elles mirent en place des filières d’évasion passant par le sud de l’Alsace, puis par la Schlucht et enfin par Sarrebourg et Landange », précise Marie-José Marconi, qui a publié en 2021 un livre sur les Résistantes d’Alsace et de Lorraine, et donc aussi sur les Pur-Sang.


Photo 21 : Le conférencier présente des éléments qui captivent l’auditoire.


Arrêtées et condamnées à des peines de prison, voire à mort, les Pur-Sang font preuve jusqu’à la fin de la guerre d’un courage étonnant, motivée par un patriotisme héroïque et une foi ardente. À l’issue d’un procès devant le tribunal du peuple, un verdict tombe en janvier 1943. Six membres sont condamnés à des peines allant de six à quinze ans de prison. La peine capitale est prononcée contre les cinq autres, qui échapperont finalement à la mort, mais resteront emprisonnés jusqu’à la fin du conflit. Ces condamnations à mort provoquent un grand émoi en Alsace et au-delà. Jusqu’en Angleterre où, à la BBC, on dénonce la sentence du tribunal : « les Alsaciens français ne peuvent être condamnés pour trahison envers le Reich. Bien au contraire, ils défendent si magnifiquement nos traditions, notre passé et notre honneur (Jacques d’Alsace, le 16 mars 1943) ». À la suite d’interventions du maréchal Pétain et du nonce apostolique de Berlin notamment, Hitler suspend les condamnations à mort, mais les condamnés n’en sauront rien et redouteront chaque jour de leur détention d’être exécutés.


Photo 22 : La reconnaissance des faits de résistances des Pur-Sang en 1946. 


Photo 23 : M. Soster indique que les actes de résistance du groupe les Pur-Sang sont rendus accessibles grâce à une bande dessinée intitulée : TÊTES DE MULE. Six jeunes Alsaciennes en résistance, d’Etienne GENDRIN, d’après le récit d’Alice DAUL, La Boîte à Bulles. 

 

III. Le réseau Adam


Photo 24 : Alphonse Adam, fondateur du Front de la jeunesse Alsacienne (FJA).


Alphonse Adam est né le 9 décembre 1918 à Schiltigheim. En juin 1941, il décide avec son ami Robert Kieffer, Pierre Tschaen et quelques camarades étudiants de fonder une organisation de résistance à laquelle ils donnent le nom de « Front de la jeunesse Alsacienne » (FJA). Ils se réunissent tous les vendredis soir au presbytère de Schiltigheim avec le soutien de l’abbé Léon Neppel. Les premières actions du groupe consistent à mettre sur pied, après avoir pris contact avec d’autres patriotes et d’autres filières de passeurs - comme celle à laquelle participe activement Joseph Seger – une filière d’évasion de prisonniers de guerre évadés et autres fugitifs, dont l’itinéraire emprunté passait par la vallée de Munster.


Photo 25 : Les élèves découvrent les faits de bravoure d’Alphonse Adam. 


Dans un premier temps, il faut assurer l’hébergement des prisonniers de guerre évadés d’Allemagne, tâche qui sera assurée par plusieurs familles dont la famille Adam. Par la suite, il faut les ravitailler et les habiller, tâche difficile avec le rationnement imposé par les nazis. Dans ce domaine, les sœurs d’Alphonse Adam - Isabelle et Micheline - s’illustrent tout particulièrement. On retrouve une nouvelle fois les deux sœurs Adam dans la réalisation de faux papiers qui sont indispensables pour faire passer les prisonniers. Travaillant dans des services administratifs nazis, elles réussissent à subtiliser les cachets officiels alors que d’autres se chargeront de faire des photographies. Puis c’est le moment de convoyer les prisonniers de guerre vers la frontière des Vosges, et de les faire passer grâce à un réseau de passeurs, dont Alphonse Adam et François Pfister.


Photo 26 : Les deux passeurs, Alphonse Adam et François Pfister.


En septembre 1942, face aux premiers conseils de révision qui obligent les Alsaciens à servir dans l’armée Allemande, le Front de la Jeunesse d'Alsace (FJA) se mobilise en diffusant des milliers de tracts dans les rues de Strasbourg, où ils exhortent à la désobéissance.


Photo 27 : Le tract. En septembre 1942, face aux premiers conseils de révision qui obligent les Alsaciens à servir dans l’armée Allemande, le Front de la Jeunesse d'Alsace (FJA) se mobilise en diffusant des milliers de tracts dans les rues de Strasbourg.


Le 6 juillet 1943 comparaissent 24 membres du Front de la Jeunesse d’Alsace devant le tribunal du peuple - Volksgerichtshof (la plus haute juridiction civile du Reich) - présidé par Roland Freisler. Le procès n’est qu’un simulacre dans la mesure où les sanctions ont été décidées à l’avance. A ce titre, rappelons que le Gauleiter Wagner avait écrit à Himmler (chef de la SS) en personne pour lui proposer de faire passer par les armes les responsables de ce tract, sans action juridique préalable, afin qu’il y ait un exemple salutaire pour la population alsacienne. Aussi, considérant que les Alsaciens sont des Allemands, la haute trahison est retenue par le tribunal. Par conséquent, 6 condamnations à mort et 18 condamnations à des détentions pénitentiaires allant de 3 à 10 ans sont prononcées.


Photo 28 : Le document avec les noms des condamnés à mort.


Wagner obtient de Berlin que la peine soit appliquée immédiatement, soit le 15 juillet, pour mettre fin aux manifestations patriotiques qui ont lieu à Strasbourg le 14 juillet comme le drapeau tricolore hissé sur la cathédrale. À l’aube du 15 juillet 1943, les 6 condamnés à mort sont fusillés au stand de tir à l’intérieur du fort Desaix à Strasbourg. 

Photo 29 : Reconnaissance posthume.


Une reconnaissance posthume leur est accordée, avec un monument au square des fusillés du 15 juillet 1943 ; une plaque commémorative des personnes assassinées, entre 1939 et 1945, est apposée à l’entrée du palais universitaire de Strasbourg ; des cérémonies commémoratives sont célébrées lors des dates anniversaire.

Conclusion : M. Soster a insisté sur le jeune âge des Résistants et Résistantes, qui peuvent valoir comme modèles pour la jeunesse actuelle, mais aussi pour les adultes, en raison de leur exemplarité. Il a, lui aussi, rappelé que « l’éternel » humain, avec ses faiblesses et ses égarements, peut pousser à faire de mauvais choix, et qu’il faut donc bien connaître les erreurs du passé pour ne pas les reproduire. Il a invité le groupe à venir découvrir Le Mémorial de Sckirmeck avec son parcours sensoriel nouvellement mis en place, qui permet de mieux expérimenter certains aspects de ces douloureuses pages de l’Histoire alsacienne. 
Conseils de lecture de M. Soster : 
*Primo Levi, Si c’est un homme (1947) – récit autobiographique : Ce livre est sans conteste l'un des témoignages les plus bouleversants sur l'expérience indicible des camps d'extermination. L’auteur y décrit la folie meurtrière du nazisme qui culmine dans la négation de l'appartenance des juifs à l'humanité. Le passage où l'auteur décrit le regard de ce dignitaire nazi qui lui parle sans le voir, comme s'il était transparent et n'existait pas en tant qu'homme, figure parmi les pages qui font le mieux comprendre que l'holocauste a d'abord été une négation de l'humain en l'autre. Si rien ne prédisposait l'ingénieur chimiste qu'était Primo Levi à écrire, son témoignage est pourtant devenu un livre qu'il importe à chaque être humain d'avoir lu pour que la nuit et le brouillard de l'oubli ne recouvrent pas à tout jamais le souvenir de l'innommable, pour que jamais plus la question de savoir « si c'est un homme » ne se pose. De ce devoir de mémoire, l'auteur s'est acquitté avant de mettre fin à ses jours, tant il semble difficile de vivre hanté par les fantômes de ces corps martyrisés et de ces voix étouffées.
*Charlotte Beradt, Rêver sous le IIIème Reich, Petite Bibliothèque Payot, Essais, 2018 : Opposante de la première heure au régime hitlérien, Charlotte Beradt (1907-1986) conçut dans une volonté de résistance une étrange entreprise : de 1933 à 1939, elle rassembla 300 rêves de femmes et d’hommes ordinaires pour mesurer combien le nouveau régime malmenait les âmes… « Rêver sous le IIIe Reich » est un livre exceptionnel, dans la même veine que « LTI » de Victor Klemperer. D’abord parce qu’il montre avec quelle efficacité le IIIe Reich assassina le sommeil. Ensuite parce qu’il présente de manière inédite, à travers les rêves, la servitude volontaire en régime totalitaire. Enfin parce qu’il révèle que, de façon surprenante, ceux qui ont rêvé sous la dictature ont souvent pressenti les développements du régime totalitaire et anticipé sur les analyses les plus élaborées qui en ont été proposées.

Photo 30 : Les deux conférenciers après le déjeuner au lycée.

 

Un merci très cordial à nos deux conférenciers, M. Jean-Laurent Vonau, membre de la SMLH, et M. Sébastien Soster, recommandé par les Archives d’Alsace, pour leur généreuse disponibilité et pour leur remarquable transmission de connaissances et de valeurs citoyennes aux lycéens sur les persécutions et les résistances alsaciennes.
Un grand merci à la direction du lycée du Haut-Barr pour le soutien qu’elle accorde à ce projet UNESCO « Persécutions et Résistances » porté par Mme Claire Le Van (référente UNESCO et enseignante en philosophie), aidée de ses collègues Mme Jana Wagner (enseignante en allemand), Mme Laura Cousandier (enseignante en physique-chimie), M. Thibaud Kueny (enseignant en philosophie).
Un merci très chaleureux à nos trois partenaires : 1. la SMLH du Bas-Rhin, présidée par le préfet de région (re) M. Cyrille Schott, soutenu par le président d’honneur M. Charles Haas, et son comité d’Alsace du Nord, présidé par Mme Marie-Laure Jundt, aidée par M. Roland Sinteff, officier supérieur de la gendarmerie (re) ; 2. les Archives d’Alsace, avec Mme Marie Collin, archiviste, et Mme Carine Leveque, chargée de mission pour la citoyenneté ; 3. le Ministère des Armées (culture et mémoire). 
Merci infiniment à Marie-Laure-Jundt pour sa présence chaleureuse. Merci beaucoup à M. Jean-Charles Fischer pour les photographies et sa présence bienveillante.
Merci aux élèves pour leur engagement souriant et motivé dans ce projet !


Mme Le Van.